Les dendrites distales prédisent les propriétés des nouveaux champs de place hippocampiques
Contexte académique
L’hippocampe est une région clé du cerveau responsable de la navigation spatiale et de la mémoire épisodique. Les neurones pyramidaux de la région CA1 de l’hippocampe (CA1 pyramidal neurons, CA1PNs) encodent la position d’un animal dans son environnement en formant des “champs de place” (place fields, PFs). La formation de ces champs de place dépend de la plasticité synaptique à l’échelle du comportement (behavioral timescale synaptic plasticity, BTSP), un mécanisme qui permet la formation rapide de nouveaux champs de place après un seul appariement. Cependant, bien que les mécanismes moléculaires et circuitaux de la BTSP aient été largement étudiés, le rôle des dendrites distales (distal tuft dendrites) des CA1PNs dans la formation des champs de place reste mal compris. Les dendrites distales sont supposées jouer un rôle dans la formation des champs de place via des potentiels de plateau dendritiques (dendritic plateau potentials), mais leurs modes d’activité in vivo et leur relation avec l’activité somatique restent flous.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Justin K. O’Hare, Jamie Wang, Margjele D. Shala, Franck Polleux et Attila Losonczy, affiliés respectivement à l’Université Columbia (Columbia University), à l’Université Duke (Duke University) et à l’Université du Colorado, campus médical d’Anschutz (University of Colorado Anschutz Medical Campus). L’article a été publié le 18 juin 2025 dans la revue Neuron, sous le titre “Distal Tuft Dendrites Predict Properties of New Hippocampal Place Fields”.
Méthodologie de recherche
1. Conception expérimentale et techniques utilisées
L’équipe de recherche a d’abord développé une technique permettant de surveiller simultanément la dynamique des ions calcium (Ca2+) dans les corps cellulaires et les dendrites distales des CA1PNs. Ils ont utilisé l’électroporation monocellulaire (single-cell electroporation) pour introduire l’indicateur de calcium rouge XCaMP-R dans les CA1PNs, et ont utilisé un microscope à deux photons (two-photon microscopy) couplé à un dispositif piézoélectrique (piezoelectric device) pour alterner rapidement entre les plans focaux, permettant ainsi une imagerie simultanée des corps cellulaires et des dendrites distales. Les sujets expérimentaux étaient des souris dont la tête était fixée, naviguant dans un environnement de réalité virtuelle (virtual reality, VR) pour obtenir des récompenses d’eau à des positions aléatoires.
2. Acquisition et analyse des données
L’équipe a enregistré les signaux Ca2+ des CA1PNs pendant que les souris naviguaient dans l’environnement VR, et a détecté les transitoires calciques (Ca2+ transients) par correspondance de modèles (template matching). Pour distinguer les transitoires calciques ordinaires des potentiels de plateau dendritiques, ils ont développé une méthode d’apprentissage automatique non supervisée, utilisant des classificateurs à vecteurs de support (support vector classifiers, SVCs) pour regrouper les formes d’onde des transitoires calciques. De plus, ils ont utilisé un paradigme de “téléportation” VR (teleportation paradigm) pour induire des événements spontanés de formation de champs de place, et ont évalué les propriétés des champs de place par analyse de réglage spatial (spatial tuning analysis).
3. Rôle des dendrites distales dans la formation des champs de place
L’équipe a découvert que les dendrites distales montrent des modes d’activation significatifs mais variables pendant la formation des champs de place. Bien que les dendrites distales expriment rarement des potentiels de plateau locaux pendant la formation des champs de place, le timing et l’amplitude de leur activation peuvent prédire les propriétés des nouveaux champs de place. En particulier, après la formation des champs de place, les dendrites distales peuvent exprimer des potentiels de plateau et former des champs de place locaux décalés vers l’arrière par rapport au champ de place somatique. Cela suggère que les dendrites distales pourraient subir une plasticité locale pendant la formation des champs de place.
Résultats principaux
1. Compartimentation des dendrites distales et du soma
L’étude a révélé une compartimentation modérée entre les dendrites distales et le soma des CA1PNs, en particulier pendant les périodes de mouvement. Les transitoires calciques des dendrites distales ont des formes d’onde plus courtes, et de nombreux transitoires ne sont pas synchronisés avec l’activité somatique. Grâce à une analyse conditionnelle inter-compartiments (cross-compartment conditional analysis), l’équipe a montré que la propagation centripète (centripetal propagation) des dendrites distales vers le soma est plus forte que la propagation centrifuge (centrifugal propagation) du soma vers les dendrites distales.
2. Activation variable des dendrites distales pendant la formation des champs de place
Pendant la formation des champs de place, les dendrites distales montrent des modes d’activation significatifs mais variables. Bien qu’elles expriment rarement des potentiels de plateau pendant cette période, le timing et l’amplitude de leur activation peuvent prédire la largeur et le contenu informationnel des nouveaux champs de place. L’équipe a également constaté que la distribution temporelle de l’activation des dendrites distales ressemble à la fenêtre temporelle d’association de la BTSP (plasticity kernel), suggérant que les dendrites distales jouent un rôle clé dans la régulation de la formation des champs de place.
3. Champs de place locaux dans les dendrites distales
L’équipe a découvert que les dendrites distales peuvent exprimer des champs de place locaux après la formation des champs de place, ces champs locaux étant décalés vers l’arrière par rapport au champ de place somatique. Ce décalage est cohérent avec la distribution temporelle de l’activation des dendrites distales pendant la formation des champs de place, indiquant que les dendrites distales pourraient subir une plasticité locale pendant ce processus. De plus, les champs de place locaux des dendrites distales peuvent décoder la position de l’animal plus précisément que le soma.
Conclusion et implications
Cette étude révèle les multiples fonctions des dendrites distales des CA1PNs dans la formation des champs de place. Les dendrites distales peuvent non seulement moduler les propriétés des nouveaux champs de place via des modes d’activation variables, mais aussi renforcer l’expression des champs de place par une plasticité locale. Ces découvertes offrent une nouvelle perspective sur la base dendritique du codage spatial dans l’hippocampe et soulignent l’importance des dendrites distales dans la plasticité synaptique à l’échelle du comportement.
Points forts de l’étude
- Première surveillance simultanée de la dynamique calcique du soma et des dendrites distales : L’équipe a développé une nouvelle technologie permettant de surveiller simultanément la dynamique des ions calcium dans le soma et les dendrites distales des CA1PNs, fournissant des preuves directes du rôle des dendrites dans la formation des champs de place.
- L’activation variable des dendrites distales prédit les propriétés des champs de place : L’étude montre que le timing et l’amplitude de l’activation des dendrites distales pendant la formation des champs de place peuvent prédire la largeur et le contenu informationnel des nouveaux champs de place, révélant ainsi leur rôle régulateur.
- Plasticité locale des dendrites distales : L’équipe a découvert que les dendrites distales peuvent exprimer des champs de place locaux après la formation des champs de place, et renforcer leur expression par une plasticité locale, offrant une nouvelle perspective sur les mécanismes de maintien des champs de place.
Cette étude approfondit notre compréhension des mécanismes de codage spatial dans l’hippocampe et ouvre de nouvelles directions pour la recherche sur le rôle des dendrites dans l’apprentissage et la mémoire.