L'infection à Toxoplasma gondii et l'élévation chronique de l'IL-1 provoquent une signalisation de cassure double brin de l'ADN de l'hippocampe, induisant des déficits cognitifs

Infection chronique par Toxoplasma gondii et élévation d’IL-1 conduisent à des déficits hippocampiques via le signal des cassures double-brin de l’ADN : Synthèse de la dernière recherche parue dans Nature Neuroscience 2025

Contexte académique et motivation de l’étude

Ces dernières années, le rôle de la neuroinflammation dans de nombreuses maladies cérébrales a reçu une attention croissante de la part de la communauté scientifique, en particulier dans le domaine des maladies neurodégénératives et des troubles cognitifs. L’infection chronique et l’inflammation persistante sont considérées comme étroitement liées aux altérations des fonctions cognitives, mais les mécanismes précis restent encore partiellement élucidés. Toxoplasma gondii est un parasite zoonotique fréquent, et on estime qu’environ 50 % de la population mondiale a été exposée à ce risque infectieux. Même chez les individus immunocompétents, l’infection à T. gondii se manifeste souvent par une phase latente asymptomatique, mais un nombre croissant de preuves indique que cette infection « silencieuse » pourrait être associée à divers troubles neuropsychiatriques, tels que la schizophrénie, le trouble bipolaire, l’épilepsie ou le trouble obsessionnel-compulsif.

Dans un contexte inflammatoire chronique induit par l’infection, les cytokines pro-inflammatoires telles que l’interleukine-1 (IL-1) restent souvent élevées de manière persistante. L’IL-1 et les cytokines associées régulent l’activité neuronale et les fonctions cognitives, mais les mécanismes moléculaires liés à leur élévation prolongée sur la fonction cérébrale n’ont pas encore été clarifiés. Il convient de souligner que le récepteur d’IL-1 (IL-1R1) est fortement exprimé dans les neurones du gyrus denté (dentate gyrus, DG) de l’hippocampe, suggérant une implication directe dans les processus mnésiques dépendants de l’hippocampe. De plus, les cassures double-brin de l’ADN (double-strand breaks, DSB) et la réponse de réparation associée sont désormais reconnues comme des mécanismes clés de la régulation cognitive. Chez les patients atteints d’Alzheimer, l’accumulation de DSB et de leur marqueur γH2A.X dans les neurones est étroitement liée aux troubles cognitifs, mais le rôle d’une réponse DSB inflammatoire dans ce contexte n’a jamais été directement démontré.

Cette recherche vise à combler ces lacunes en étudiant systématiquement, sur des modèles animaux, comment l’infection chronique par T. gondii et l’élévation chronique d’IL-1 pilotent la voie de signalisation DSB dans les neurones hippocampiques et mènent à des troubles cognitifs.

Auteurs et source

Cet article, intitulé « toxoplasma gondii infection and chronic il-1 elevation drive hippocampal dna double-strand break signaling, leading to cognitive deficits », est publié dans le prestigieux journal Nature Neuroscience, volume 28, en octobre 2025 (pages 2067–2077). Les travaux ont été menés par Marcy Belloy, Benjamin A. M. Schmitt, Florent H. Marty et al., principalement affiliés à l’Université de Toulouse, au CNRS et à l’INSERM en France. L’étude est de conception rigoureuse et a été soumise à une évaluation internationale par les pairs ; elle est d’une grande influence dans les domaines de la neuro-immunologie et des infections cérébrales parasitaires.

Démarche de recherche et design expérimental

1. Mise en place des modèles

1.1 Modèles animaux

Les chercheurs ont utilisé des souris mâles C57BL/6J SPF et développé plusieurs lignées transgéniques, parmi lesquelles : - CamKIIα-Cre-ERT2:IL1R1fl/fl (invalidation conditionnelle du récepteur IL-1 spécifiquement dans les neurones excitables hippocampiques) ;
- CamKIIα-Cre-ERT2:H2A.Xfl/fl (invalidation conditionnelle de la protéine de réparation de l’ADN γH2A.X dans les neurones excitables hippocampiques).

1.2 Modélisation de l’infection par Toxoplasma gondii

Deux souches génétiquement modifiées ont été utilisées : - Tg.SAG1-OVA : modèle d’encéphalite chez la souris C57BL/6J (charge parasitaire élevée, inflammation importante). - Tg.GRA6-OVA : modèle d’infection latente (charge parasitaire basse, inflammation neurogène légère).

Les souris sont infectées par injection intrapéritonéale de 200 parasites, puis soumises à des tests comportementaux 6 à 16 semaines après infection.

1.3 Modèle d’élévation chronique d’IL-1β

Des mini-pompes osmotiques sous-cutanées délivrent de l’IL-1β recombinante murine à faible dose (5 μg/kg/j) durant 35 jours afin de simuler un environnement inflammatoire chronique.

2. Évaluations comportementales

L’analyse comportementale porte sur la mémoire spatiale et la cognition : - Labyrinthe de Barnes : cinq jours d’entraînement pour mesurer l’apprentissage spatial et la récupération mnésique (précision, stratégies, etc.). - Test de reconnaissance de nouvel objet (NOR) : évaluation de la mémoire à long terme et des fonctions corticales. - Test de localisation d’objet (OL) : test pivot pour la consolidation de la mémoire spatiale, dépendante de la fonction hippocampique.

Chaque groupe inclut au minimum 10 souris, et chaque résultat provient de 2 à 3 cohortes indépendantes.

3. Approches cellulaires et moléculaires

3.1 Analyse des cellules immunitaires

Les quantifications par immunofluorescence et cytométrie en flux permettent de mesurer nombre et activation des astrocytes, microglies, cellules mononucléées/granulocytes et des lymphocytes T dans la région hippocampique.

3.2 Analyse transcriptomique

Le séquençage d’ARN en vrac (bulk RNA-seq) et l’analyse d’enrichissement des voies mettent en évidence, dans les modèles d’encéphalite et d’infection latente, les voies inflammatoires activées, notamment IL-1, IFNγ, IL-27, etc.

3.3 Détection des cassures double-brin

L’immunomarquage de γH2A.X et 53BP1, associé à la microscopie confocale super-résolutive, quantifie précisément les foyers DSB dans les neurones hippocampiques.

3.4 Cultures neuronales in vitro

Des neurones hippocampiques murins sont isolés puis traités à différentes concentrations d’IL-1β pour mesurer la modulation de γH2A.X ; des shRNA viraux sont utilisés pour inhiber spécifiquement IL1R1 et vérifier la spécificité de la signalisation.

3.5 Outils et algorithmes innovants

  • Logiciel de suivi comportemental : algorithme maison en Python pour suivre automatiquement les trajets et distances parcourues par les souris.
  • Analyse RNA-seq : l’algorithme Progeny infère l’activité de 14 voies de signalisation ; GSEA évalue l’enrichissement de groupes de gènes.
  • Tri FACS de noyaux neuronaux pour une analyse transcriptomique au niveau nucléaire.

Résultats expérimentaux et interprétations

1. L’infection chronique par T. gondii altère la mémoire spatiale

  • Pendant la phase d’apprentissage dans le labyrinthe de Barnes, tous les groupes ont appris la tâche, mais le groupe « encéphalite » affichait plus d’erreurs et des stratégies inefficaces. Après 5 jours, le test de rappel montrait que les souris infectées, surtout celles du groupe encéphalite, avaient une précision diminuée (moins de visites dans la zone cible), indiquant un déficit du rappel de la mémoire spatiale.

  • À l’épreuve NOR, toutes les souris identifiaient le nouvel objet, alors qu’au test OL, les souris infectées ne distinguaient pas l’objet déplacé, ce qui reflète un trouble de la mémoire spatiale dépendante de l’hippocampe.

2. Changements des cytokines neuro-inflammatoires

  • Les analyses immunologiques montrent une infiltration et une activation marquées des microglies, astrocytes et cellules immunitaires périphériques, avec surexpression de MHC II et CD86, dans les modèles chroniques.

  • L’analyse RNA-seq révèle une augmentation significative des voies IL-1 (notamment IL-1β) dans l’hippocampe, l’expression du récepteur IL-1 chez les neurones excitables, ce qui suggère un rôle direct dans les troubles de la mémoire.

3. Effets de la signalisation IL-1 dans les neurones

  • Chez les souris à invalidation conditionnelle d’IL-1R1, la mémoire spatiale restait normale quel que soit l’état infectieux, contrairement aux témoins qui perdaient la consolidation mnésique après infection. L’invalidation d’IL-1R1 n’affecte ni le poids ni la charge parasitaire, mais protège la fonction cognitive.

  • Les expériences in vitro, ainsi que le modèle de micro-pompe IL-1β chronique, montrent qu’une exposition prolongée à faible dose d’IL-1β peut induire un trouble de la mémoire spatiale, effet supprimé si l’IL-1R1 neuronal est invalidé.

4. Implication du signal DSB dans les troubles mnésiques

  • L’infection chronique et le traitement à l’IL-1β accroissent notablement le nombre de foyers positifs γH2A.X et 53BP1 dans les neurones hippocampiques ; in vitro, l’IL-1β induit rapidement une élévation de γH2A.X.

  • L’invalidation spécifique de γH2A.X dans les neurones (H2A.Xfl/flcre+) préserve la mémoire spatiale chez la souris exposée à l’inflammation chronique. Sur le transcriptome, l’induction génique par IL-1β est fortement restreinte. L’algorithme Progeny met en évidence que l’invalidation de γH2A.X neutralise l’élévation de la voie EGFR et la diminution de la voie PI3K sous IL-1β, voies critiques pour la plasticité synaptique et l’intégrité neuronale.

  • Les analyses GSEA et fonctionnelles confirment que l’absence de γH2A.X compense les déséquilibres transcriptionnels liés à l’inflammation, démontrant que le signal des cassures double-brin, et non la cassure en elle-même, est à l’origine du déficit mnésique.

Conclusions et portée de l’étude

Cette recherche démontre systématiquement que l’infection chronique par T. gondii ou une élévation d’IL-1 active la voie signalétique DSB dans les neurones hippocampiques, avec pour conséquence une altération de la mémoire spatiale. Les auteurs montrent : - Qu’une exposition chronique à faible dose d’IL-1β suffit à causer des troubles mnésiques sans nécessairement provoquer de syndrome de maladie aiguë (sickness behavior) ; - Que le signal IL-1 doit s’exercer dans les neurones excitables hippocampiques : l’invalidation du récepteur ou de la signalisation DSB (γH2A.X) restaure les fonctions cognitives ; - Que la déficience cognitive dépend de l’accumulation du signal DSB, et non juste de la cassure d’ADN elle-même, révélant que la régulation épigénétique γH2A.X est un nœud clé du processus pathologique.

Cette découverte a des implications majeures pour différentes maladies neuro-inflammatoires chroniques telles que Alzheimer, la dépression ou la schizophrénie, et pourrait ouvrir la voie à de nouvelles cibles moléculaires pour des interventions cliniques.

Points forts et innovations de l’étude

  1. Nouveauté mécanistique : Première démonstration systématique que l’inflammation chronique peut entraîner un trouble cognitif via la signalisation DSB neuronale (γH2A.X), renouvelant les modèles moléculaires de la déficience mnésique.
  2. Modèles rigoureux et complets : Inclusion des deux cadres (encéphalite aiguë et infection latente), recours à un modèle d’inflammation chronique par IL-1β et à des invalidations neuronales conditionnelles, assurant une logique expérimentale solide et reproductible.
  3. Outils algorithmiques innovants : Développement logiciel de suivi comportemental, application des analyses Progeny et GSEA multiparamétriques, perfectionnant la profondeur et la fiabilité de l’interprétation fonctionnelle.
  4. Fort potentiel translationnel : Mise en évidence qu’une inflammation chronique modérée est nocive pour la mémoire spatiale, ce qui suggère de nouveaux axes thérapeutiques de prévention dès les stades précoces.
  5. Ciblage moléculaire précis : La confirmation que γH2A.X est un nouveau commutateur moléculaire du déficit cognitif ouvre la voie à des stratégies nouvelles en pharmacologie ou édition génomique.

Autres points d’intérêt

  • À l’échelle génétique et cellulaire, l’invalidation d’IL-1R1 ou d’H2A.X ne modifie pas la charge en parasites, ce qui montre que le trouble cognitif provient de la neuroinflammation et de la signalisation DSB, et non directement de l’infection.
  • Le modèle d’inflammation chronique utilisé n’a pas d’effet délétère sur la neurogenèse hippocampique, contrastant avec les résultats dans certains modèles liés au COVID, illustrant la diversité des modalités de dommage inflammatoire qui reste à approfondir.
  • La démarche méthodologique respecte rigoureusement la législation européenne sur l’éthique animale et apporte une base expérimentale solide pour de futures applications cliniques.

Évaluation globale

Cet article, fondé sur des modèles animaux solides et une exploration moléculaire détaillée, apporte une première démonstration que l’infection chronique par T. gondii et/ou l’élévation d’IL-1 altèrent les neurones hippocampiques via la voie des cassures double-brin de l’ADN, causant un trouble de la mémoire spatiale. Il offre ainsi une clarification mécanistique longtemps attendue de la déficience cognitive secondaire à une neuroinflammation chronique, ainsi que des perspectives thérapeutiques prometteuses ciblant IL-1 ou γH2A.X dans de multiples pathologies neuropsychiatriques.