L’agonisme des récepteurs 5-HT2A psychédéliques modifie le couplage neurovasculaire et affecte différemment les mesures neuronales et hémodynamiques de la fonction cérébrale

Mécanisme d’action des psychédéliques dans le couplage neurovasculaire cérébral : Analyse d’une étude récente

1. Contexte académique et motivation de la recherche

Au cours des dix dernières années, les psychédéliques tels que la psilocybine et le LSD ont suscité un regain d’intérêt dans la communauté scientifique en raison de leur efficacité rapide et marquée dans le traitement de la dépression, de la dépendance aux substances et d’autres troubles cliniques. De plus en plus d’essais cliniques montrent que les psychédéliques peuvent améliorer notablement les troubles de l’humeur et les maladies liées à la dépendance, faisant de l’exploration de leurs mécanismes d’action un nouveau point focal en psychiatrie et en neurosciences.

À ce jour, les recherches portant sur les mécanismes neuronaux des psychédéliques se concentrent majoritairement sur leur régulation des neurones, en particulier sur l’activation du récepteur de la sérotonine 5-HT2A (5-HT2A receptor, 5-HT2AR) dans le cerveau. De nombreuses études en IRMf (IRM fonctionnelle) ont montré que les psychédéliques entraînent une réorganisation drastique des réseaux fonctionnels cérébraux, notamment une modification de la structure du réseau de mode par défaut (default mode network, DMN) ainsi qu’une augmentation de la connectivité fonctionnelle en état de repos (RSFC) à l’échelle du cerveau. Ces découvertes ont amené les chercheurs à interpréter les modifications de signal IRMf comme une régulation directe de l’activité neuronale induite par les psychédéliques.

Cependant, il est important de noter que la sérotonine possède une forte activité vasoactive, contrôlant directement la microcirculation cérébrale. Les variations du flux sanguin détectées par l’IRMf sont interprétées comme des signes d’activité neuronale, mais peuvent en fait refléter l’effet des psychédéliques sur les vaisseaux sanguins ou sur le couplage neurovasculaire (neurovascular coupling, NVC), plutôt qu’une simple variation neuronale. Ainsi, différencier l’origine neuronale ou vasculaire des signaux sous l’effet des psychédéliques, et éviter de confondre les effets vasculaires avec de l’activité neuronale, est une question scientifique majeure dans l’étude des mécanismes cérébraux des psychédéliques.

2. Informations sur l’article et les auteurs

Cet article s’intitule « psychedelic 5-ht2a receptor agonism alters neurovascular coupling and differentially affects neuronal and hemodynamic measures of brain function ». Il a été publié dans la revue internationale de premier plan Nature Neuroscience (volume 28, novembre 2025). Les travaux ont été réalisés collectivement par Jonah A. Padawer-Curry, Oliver J. Krentzman, Chao-Cheng Kuo, Xiaodan Wang, Annie R. Bice, Ginger E. Nicol, Abraham Z. Snyder, Joshua S. Siegel, Jordan G. McCall et Adam Q. Bauer, provenant principalement de la Washington University et d’autres instituts de recherche américains d’excellence.

3. Détail du processus et des méthodes de recherche

1. Conception de l’étude et innovations méthodologiques

Pour approfondir la question de savoir si l’action des psychédéliques sur la fonction cérébrale relève d’une modification du couplage neurovasculaire, les auteurs ont conduit une étude multi-niveaux et multi-modalités :

(1) Réanalyse des données IRMf humaines

Premièrement, les auteurs ont ré-analysé des données IRMf humaines publiées, impliquant des sujets ayant reçu de la psilocybine, du méthylphénidate (comme contrôle pharmacologique) ou aucun composé, tout en effectuant une tâche d’appariement audio-visuelle. À l’aide d’un modèle « double gamma function », ils ont modélisé et comparé les paramètres principaux de la fonction de réponse hémodynamique (HRF) dans différentes régions cérébrales, incluant l’amplitude du pic, la dispersion et le temps au pic (time to peak, TTP). Les résultats montrent que les psychédéliques modifient significativement les paramètres HRF dans la plupart des régions, suggérant qu’ils perturbent la relation informationnelle entre neurones et vaisseaux sanguins et possiblement le mécanisme NVC.

(2) Imagerie optique à champ large chez la souris (Wide-Field Optical Imaging, WFOI)

Pour préciser l’effet des psychédéliques sur le NVC, les chercheurs ont développé une plateforme innovante d’imagerie optique à champ large chez la souris (WFOI). Cette méthode repose sur l’expression, au niveau du cortex, d’un indicateur génétiquement encodé de calcium JRGECO1a (rapportant principalement l’activité calcique transitoire des neurones excitateurs, liée aux potentiels d’action), couplée à la détection spectroscopique de l’hémoglobine, permettant une acquisition simultanée, à haute résolution spatio-temporelle, des signaux neuronaux excitateurs et des signaux hémodynamiques. L’expérience a été réalisée sur des souris transgéniques Thy1-JRGECO1a, habituées au protocole comportemental et en état d’éveil, au nombre de 8.

Le protocole expérimental comprend : - Habituation comportementale à l’imagerie corticale (7 jours, 45 min/jour) - Chaque souris reçoit de façon randomisée différentes injections et sessions d’imagerie : solution saline (contrôle), DOI (2,5-diméthoxy-4-iodoamphétamine, psychédélique), MDL100907 (antagoniste sélectif du 5-HT2AR), DOI+MDL100907, ainsi que Lisuride (agoniste 5-HT2AR non hallucinogène), etc. - Après injection, une acquisition des signaux calciques corticaux et hémodynamiques est réalisée en condition stimulation (stimulation vibrissale) et au repos, sur des périodes de 30 minutes.

Le protocole utilise également le suivi du mouvement et la pupillométrie pour contrôler l’état locomoteur de l’animal, des algorithmes maison pour corriger l’influence de l’hémoglobine sur les signaux de fluorescence, et une analyse détaillée de la dynamique spatio-temporelle du couplage neurovasculaire.

(3) Validation pharmacologique et analyse algorithmique

La dose hallucinogène de DOI est confirmée par l’induction d’un « head-twitch response » chez la souris. Des expériences électrophysiologiques ex vivo et des algorithmes de filtrage haute fréquence sont utilisés pour valider la spécificité du signal calcique JRGECO1a (éliminant l’interférence induite par la libération lente de calcium intracellulaire), garantissant que les comparaisons reflètent effectivement l’activité neuronale excitatrice.

Pour l’analyse des données, les auteurs utilisent une méthode de déconvolution par moindres carrés pondérés pour modéliser un système linéaire et causal reliant activité neuronale (calcium) et signal hémodynamique, analysant la forme des HRF, leur transduction fréquentielle et les paramètres clé tels que le pic, le temps au pic, la largeur à mi-hauteur (full-width at half maximum, FWHM), etc. Concernant la connectivité fonctionnelle (RSFC), des algorithmes de détection de communautés (community detection) et des statistiques de corrélation sont employés pour comparer en profondeur la structure des réseaux de repos selon les signaux calciques et hémodynamiques dans différentes régions corticales.

2. Analyse détaillée des principaux résultats

(1) Action aiguë du psychédélique modifie la réponse hémodynamique régionale chez l’humain

L’analyse montre que la psilocybine réduit le temps au pic HRF dans la plupart des régions cérébrales (sauf le cortex visuel droit), et abaisse la dispersion et le pic dans certaines zones, ce qui témoigne d’un renversement important de la correspondance entre activité hémodynamique et activité neuronale sous l’action du psychédélique.

(2) DOI induit un découplage spatio-temporel entre signaux neuronaux et hémodynamiques dans le cortex de souris

En stimulation vibrissale, DOI diminue fortement le signal calcique lié au potentiel d’action dans certaines zones (rétrospléniale, motrice), alors que le signal hémodynamique montre des changements opposés, par exemple une augmentation dans le cortex auditif et une baisse dans le cortex moteur, illustrant un découplage spatial des deux signaux. DOI augmente l’amplitude et la réponse soutenue calcique des neurones excitateurs, mais les réponses hémodynamiques correspondantes chutent nettement, voire deviennent négatives (baisse de l’oxygénation et augmentation de la désoxygénation).

(3) DOI modifie de façon marquée le modèle de couplage neurovasculaire et la forme des fonctions de réponse

L’analyse par déconvolution révèle que DOI rétrécit significativement la HRF (FWHM diminuée) et renforce la transduction des activités neuronales de fréquence supérieure à 0,5Hz. Au repos, DOI génère dans le cerveau une HRF avec « pic antérieur » (acausal peak, c’est-à-dire activité hémodynamique précédant l’activité neuronale), suggérant l’apparition d’un nouveau mode de couplage neurovasculaire ou vasculoneuronal avec rupture de la causalité classique.

(4) RSFC : incertitude entre réseau calcique et réseau hémodynamique

En analyse de repos, DOI fait varier de façon intra-régionale et opposée la puissance calcique et hémodynamique selon la bande de fréquence et la région : par exemple, une augmentation de l’activité calcique basse fréquence dans le préfrontal et le cingulaire, mais une hausse du signal hémodynamique dans le cortex somato-sensoriel. Les deux signaux présentent une dissociation topographique évidente.

L’analyse communautaire révèle que DOI non seulement divise la force de connectivité fonctionnelle (entre préfrontal et cingulaire) selon la nature du signal, mais aussi dé-corrèle la modularité (le score de détection des modules augmente dans certains secteurs du signal calcique sans équivalent hémodynamique). Autrement dit, la topologie du réseau change selon la modalité de mesure.

(5) Les effets de DOI sont largement réversés par l’antagoniste 5-HT2AR MDL100907

Dans le groupe DOI+MDL, la majorité des changements NVC induits par DOI et du découplage des signaux sont restaurés, soulignant l’implication prédominante de la voie 5-HT2AR. Cependant, certains effets persistent, suggérant l’intervention d’autres récepteurs ou voies.

(6) Lisuride non hallucinogène et faibles doses de DOI n’altèrent pas NVC et la structure réseau

En tant qu’agoniste partiel, Lisuride exerce de faibles effets sur la voie 5-HT2AR et le flux sanguin, tout comme les faibles doses de DOI qui n’induisent pas de modification significative du NVC et de la structure RSFC, témoignant d’une relation dose-effet entre intensité hallucinogène et modulation neurovasculaire.

(7) DOI pourrait induire localement un couplage vasculoneuronal (VNC) spécifique

Dans certaines régions, DOI fait apparaître une HRF où l’activité hémodynamique précède le signal calcique, suggérant l’existence de mécanismes par lesquels le flux sanguin module directement l’activité neuronale (via, par exemple, la libération de NO, les canaux ioniques mécanosensibles, etc.), ouvrant une nouvelle piste biologique pour expliquer les effets cérébraux des psychédéliques.

3. Conclusions et portée scientifique et applicative

Ce travail prouve pour la première fois, de manière systématique, que l’action aiguë des psychédéliques ne se limite pas à moduler directement l’activité neuronale, mais remodèle en profondeur le mécanisme de couplage neurovasculaire. Cela complexifie et rend « incertaine » l’interprétation traditionnelle de l’activité neuronale basée sur les marqueurs hémodynamiques comme l’IRMf. Cette découverte est porteuse d’un vrai « changement de paradigme » pour la compréhension scientifique des psychédéliques et impose de considérer sérieusement les facteurs vasculaires et neurovasculaires lors de l’analyse des résultats en neuroimagerie.

D’un point de vue applicatif, cette étude fournit une base scientifique pour le développement futur de traitements psychiatriques, pour l’application clinique des psychédéliques, et pour l’innovation méthodologique en imagerie cérébrale. Par exemple, dans les études IRMf humaines, l’utilisation de méthodes multimodales synchrones (EEG-IRMf, imagerie optique haute résolution temporelle, etc.) permettra de mieux discriminer les signaux neuronaux et vasculaires, réduisant les risques d’interprétation erronée ou de mauvaises décisions cliniques.

4. Points forts et innovations de la recherche

  • Première réalisation d’une imagerie simultanée et adaptative haute résolution du cortex cérébral, captant à la fois l’activité neuronale et les signaux sanguins, ouvrant un nouvel axe méthodologique pour la quantification dynamique du couplage neurovasculaire animal ;
  • Démonstration systématique du contrôle région-spécifique et fréquence-spécifique du couplage neurovasculaire par les psychédéliques, révélant l’existence de nouveaux modes de couplage non linéaires et non causaux ;
  • Grâce aux interventions pharmacologiques (antagoniste MDL et Lisuride), l’étude dissocie précisément le rôle de la voie 5-HT2AR dans la régulation du NVC ;
  • Établissement d’un nouveau paradigme d’interprétation des signaux vasculaires et d’analyse des réseaux fonctionnels dans la recherche sur les psychédéliques, fournissant des recommandations méthodologiques pour les futures études cérébrales et cliniques.

5. Informations complémentaires et perspectives

Les auteurs discutent des limites de l’étude, telles que le ciblage neuronal restrictif des indicateurs génétiques, l’effet de stress locomoteur sur les animaux, et l’hypothèse simplificatrice (causalité, linéarité) du modèle NVC.

À l’avenir, ils recommandent l’intégration d’indicateurs multi-cellulaires, l’imagerie multi-modale, et les acquisitions synchrones EEG-optique pour une révélation exhaustive des interactions entre le microcirculation cérébrale et le traitement de l’information neuronale sous psychédéliques. Des essais pharmacologiques élargis, des protocoles à doses variables, et la prise en compte du sexe et de la diversité des molécules enrichiront aussi la compréhension du mécanisme psychédélique.

5. Résumé de la portée scientifique et de la valeur de l’étude

Par sa double approche sur le mécanisme fondamental et l’innovation méthodologique, cette étude fournit un angle inédit et une base théorique solide pour la recherche sur les effets cérébraux des psychédéliques. Elle élargit les frontières des méthodes d’investigation, inspire de nouveaux traitements et outils d’imagerie, et encourage la communauté des neurosciences et de la psychiatrie à adopter une vision plus holistique de la complexité du couplage neurovasculaire et du flux d’information dans le cerveau.