L’augmentation de la signalisation des récepteurs AMPA après une lésion de la moelle épinière accroît la migration des cellules souches/progénitrices dérivées de l’épendyme et favorise la récupération fonctionnelle

Augmentation du signal du récepteur AMPA après une lésion de la moelle épinière favorise la migration des cellules souches/progénitrices neurales dérivées de l’épendyme et la récupération fonctionnelle —— Rapport synthétique sur la dernière recherche de Nature Neuroscience

1. Contexte scientifique : le défi de la réparation de la moelle épinière, le potentiel des cellules épendymaires et l’exploration des mécanismes liés au récepteur AMPA

La lésion de la moelle épinière (Spinal Cord Injury, SCI) est un type de traumatisme du système nerveux central qui met sérieusement en danger la santé humaine, entraînant souvent des pertes de fonctions nerveuses et une paralysie irréversible. En raison de la capacité limitée de régénération de la moelle épinière chez les mammifères, la stimulation de la régénération nerveuse et de la récupération fonctionnelle après blessure est un objectif poursuivi depuis longtemps en neurosciences et en médecine de rééducation. Ces dernières années, les chercheurs ont découvert que les cellules épendymaires autour du canal central de la moelle épinière peuvent être activées après blessure, acquérant des propriétés de cellules souches/progénitrices (Neural Stem/Progenitor Cells, NSPCs), exprimant temporairement des capacités de prolifération et de migration. Ces NSPCs dérivées de l’épendyme (Ependymal-Derived NSPCs, epNSPCs) jouent un rôle remarquable chez les vertébrés inférieurs (amphibiens, poissons), mais chez les mammifères, leur activation est transitoire et leur pouvoir réparateur bien moindre. Ainsi, prolonger et renforcer l’activation et la “stemness” des cellules épendymaires afin de révéler leur pouvoir régénératif est un enjeu majeur actuel dans la recherche sur la réparation du SCI.

Les explorations antérieures sur les mécanismes d’activation des epNSPCs se sont principalement concentrées sur les voies Wnt, Oncostatine, Purinergique, etc., mais aucun facteur décisif n’a encore été identifié. Dès les premiers stades de la lésion, on observe une forte augmentation locale du glutamate, accompagnée d’une excitotoxicité, et le signal glutamatergique joue un rôle essentiel dans le développement, la différenciation et la migration des cellules souches neurales. Des études in vitro récentes ont révélé que le récepteur AMPA (α-amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazolepropionic acid receptor, récepteur AMPA, AMPAR) régule la prolifération et la différenciation des epNSPCs. Il est donc suggéré que le signal glutamatergique médié par l’AMPAR après la lésion pourrait être le principal moteur de l’activation et de la migration des cellules épendymaires, constituant une cible prometteuse pour la régénération du SCI.

2. Source de l’article et présentation des auteurs

Cette étude a été menée par Laureen D. Hachem, Homeira Moradi Chameh, Gustavo Balbinot, Andrea J. Mothe, Alain Pacis, Rui Tong Geng Li, Taufik A. Valiante, Wei Lu, Charles H. Tator et Michael G. Fehlings, principalement affiliés à la Division de neurochirurgie de l’Université de Toronto, au Krembil Brain Institute et au University Health Network, avec des collaborations du Simon Fraser University, McGill University et NIH. L’article est intitulé “augmenting ampa receptor signaling after spinal cord injury increases ependymal-derived neural stem/progenitor cell migration and promotes functional recovery” et a été publié dans le journal de neurosciences de premier rang, Nature Neuroscience, en octobre 2025 (DOI : https://doi.org/10.1038/s41593-025-02044-8).

3. Déroulement et protocole de la recherche

1. Modèle expérimental et conception globale

Cette étude propose une série d’expériences innovantes s’articulant autour du rôle régulateur du récepteur AMPA dans l’activation des cellules épendymaires et la récupération fonctionnelle après SCI. Le modèle utilise des souris femelles adultes C57BL/6J, soumises à une lésion standardisée par compression/contusion bilatérale au niveau C6/7 de la moelle épinière. Les principales étapes du protocole sont les suivantes :

1.1 Expérimentation pharmacologique inhibitrice

Pour vérifier le rôle de l’AMPAR dans l’activation des epNSPCs, les chercheurs ont injecté par voie intrathécale avant la lésion deux antagonistes de l’AMPAR (NBQX et GYKI-53655 ; le premier inhibe également les récepteurs Kainate, le second est plus spécifique), puis ont utilisé des techniques d’immunohistochimie pour quantifier la proportion de cellules Ki67+ dans la région du canal central lésé, et ont suivi le mode de migration des epNSPCs grâce à la souris reporteur Foxj1-CreER-tdTomato.

1.2 Construction et validation d’un modèle à invalidation génétique

Pour éliminer les effets hors-cibles potentiels liés aux médicaments, les auteurs ont généré des souris transgéniques Foxj1-CreER-tdTomato; Gria1–3flox/flox, recevant du tamoxifène pour une invalidation précise des gènes Gria1/Gria2/Gria3 (correspondant aux sous-unités AMPAR 1-3) dans les epNSPCs, puis ont réalisé des enregistrements électrophysiologiques (patch-clamp) pour vérifier le fonctionnement des récepteurs AMPA dans les epNSPCs, in vivo et in vitro.

1.3 Activation après lésion/Évaluation de la migration

Avec le modèle à invalidation, le groupe de recherche a analysé, après la blessure (3 et 7 jours), la prolifération et le profil de migration des epNSPCs (distance de migration des cellules du canal central vers la zone lésée, variation de proportion), précisant en détail l’effet de la perte des gènes sur l’activation cellulaire.

1.4 Expérimentation pharmacologique d’activation (Ampakine CX546)

Démarrage de l’expérience “d’activation positive de l’AMPAR” avec l’administration quotidienne par voie intrapéritonéale du modulateur positif CX546 (Ampakine), débutée au 7e jour post-lésion et poursuivie pendant 5 semaines. Des analyses snRNA-seq, immunohistochimiques et comportementales ont permis d’évaluer l’effet de CX546 sur le profil transcriptionnel, la migration des epNSPCs et la récupération fonctionnelle de la moelle épinière.

1.5 Vérification de spécificité et analyse des signaux intercellulaires

En utilisant à nouveau les souris à invalidation Gria1–3, l’étude a déterminé si l’action de CX546 dépendait de l’expression de l’AMPAR. Grâce à l’analyse des communications cellulaires, ont été testées les interactions épendyme-astrocytes, épendyme-neurones (Connexin-43, Cadherin, FGF2), pour explorer les effets du microenvironnement sous CX546.

1.6 Analyse comportementale et électrophysiologique

Étaient inclus : Basso Mouse Scale (BMS, test moteur en champ ouvert), Forelimb Locomotor Assessment Scale (FLAS), analyse automatisée du gait Catwalk, test du seuil de douleur Von Frey et test de force de préhension. Des enregistrements de potentiels évoqués moteurs (MEP ; amplitude, latence, courbes de recrutement, etc.) ont été réalisés à une et plusieurs semaines post-lésion pour étudier l’excitabilité du faisceau cortico-spinal et le lien avec les neurones résiduels de la moelle épinière.

2. Techniques et méthodes innovantes

  • Souris Foxj1-CreER-tdTomato : pour suivre par fluorescence la localisation des epNSPCs et de leurs dérivés.
  • snRNA-seq : segmentation des types cellulaires de la moelle épinière et analyse fine des changements du transcriptome dans les populations épendymaires sous drogue.
  • Algorithme Augur : pour quantifier l’intensité de la réponse de chaque population cellulaire à la lésion ou au traitement pharmacologique.
  • Inférence de communication cellulaire et GSEA : pour décrypter les changements dans les voies de signalisation clés telles que Connexin-43, FGF2, l’adhésion cellulaire, etc.
  • Évaluation comportementale automatisée et analyse électrophysiologique multiparamétrique : pour refléter de façon exhaustive les variations de locomotion, du ressenti sensoriel, de la force et de la conduction nerveuse.

4. Détail des principaux résultats expérimentaux

1. L’inhibition pharmacologique confirme la régulation génétique de l’AMPAR sur l’activation des epNSPCs

Au début de la lésion, l’excitotoxicité glutamatergique augmente nettement ; l’expérience sur souris Foxj1-CreER-tdTomato montre que l’injection intrathécale de NBQX et GYKI-53655 réduit significativement la proportion de cellules Ki67+ épNSPCs dans la zone centrale, ainsi que le nombre de cellules migrantes, sans influencer nettement le nombre total de epNSPCs, suggérant que l’AMPAR module essentiellement l’activation et la migration, plutôt que la survie cellulaire.

2. L’invalidation des gènes Gria1–3 bloque complètement le courant AMPAR et l’activation post-lésion

Les résultats du patch-clamp indiquent que les epNSPCs sauvages montrent un courant AMPA important et une activité multi-unité après stimulation au glutamate, tandis que les cellules mutantes Gria1–3 présentent une forte réduction de courant AMPAR et peu ou pas de réponse au glutamate, leur activité étant majoritairement mono-unité : la fonction électrophysiologique AMPAR est abolie.

3. Restriction de l’activation/migration des cellules épendymaires après invalidation AMPAR

Après trauma (3 jours), les souris Gria1–3 invalidées ont une proportion de cellules Ki67+ epNSPCs significativement diminuée ; à 7 jours, le pourcentage et la distance de migration des cellules sont fortement inférieurs au groupe contrôle, confirmant le rôle central du signal AMPAR dans l’activation et la migration rapide des cellules épendymaires après blessure.

4. L’Ampakine CX546 renforce le signal AMPAR et maintient l’activation migratoire des epNSPCs

Les analyses snRNA-seq indiquent que les epNSPCs répondent fortement à CX546. Plusieurs gènes associés à la prolifération/migration et à la régulation AMPAR (Erbb4, Magi2, Rnf220, …) voient leur expression augmentée ; des gènes inhibant la migration (Magi2, Csmd1, Ptprd, Rora…) sont réprimés, ce qui suggère que CX546 maintient les cellules épendymaires dans un état immature propice à la migration.

5. Voie Connexin-43 (CX43) renforcée, activation de l’adhésion cellulaire

L’immunohistochimie montre que CX546 augmente l’expression de CX43 dans les epNSPCs. L’inférence de communication intercellulaire révèle une hausse du signal CX43 entre epNSPCs et astrocytes, la drogue favorisant leur interaction, et amplifie le signal FGF2, renforçant l’adhésion intercellulaire et la migration collaborative. Les scores comportementaux, distances de migration et proportions de cellules migrantes augmentent significativement.

6. Confirmation de la dépendance à l’AMPAR pour l’action de CX546 via Gria1–3 knockout

CX546 perd son efficacité (diminution de l’expression CX43 et de la migration des epNSPCs) chez les souris Gria1–3 invalidées, confirmant que son action dépend strictement de l’AMPAR : la modulation AMPAR est la base essentielle de CX546.

7. Amélioration électrophysiologique et récupération fonctionnelle remarquables

CX546 favorise non seulement l’activation/migration des cellules épendymaires, mais restaure l’excitabilité du faisceau cortico-spinal après blessure : amplitude maximale, latence, et courbes de recrutement sont améliorées ; les performances à la préhension, au BMS, au FLAS et à la marche Catwalk progressent de façon soutenue, suggérant que la régulation par l’AMPAR stimule à la fois l’activation cellulaire et la récupération du réseau spinal/global locomoteur.

8. Autres observations : protection neuronale et rôle des molécules d’adhésion de la matrice

CX546 favorise directement la survie des neurones (hausse des cellules NeuN+ dans la zone lésée), agit positivement sur divers types neuronaux (PDYN, RORB, SOX5, MAF, …), et en renforçant le signal Cadherin entre épendyme et neurones, pourrait favoriser la régénération axonale et le remodelage des réseaux.

5. Conclusions principales et signification scientifique

Cette étude clarifie les mécanismes par lesquels le récepteur AMPA régule l’activation rapide/migratoire des cellules souches/progénitrices neurales dérivées de l’épendyme (epNSPCs) après une lésion de moelle épinière. La stimulation pharmacologique (CX546) permet de prolonger et d’amplifier la migration et la dédifférenciation des epNSPCs, les maintenant à long terme dans un état propice à la réparation, favorisant la restauration physiologique, électrophysiologique et fonctionnelle de la moelle épinière, avec une forte perspective de translation clinique.

La signification scientifique inclut : - Première démonstration détaillée du mécanisme moléculaire AMPAR dans l’activation et la migration des cellules souches épendymaires ; - Développement d’une nouvelle stratégie d’intervention thérapeutique pour la réparation du SCI via CX546 ; - Mise en évidence du rôle régulateur de CX43, Cadherin et autres signaux dans la migration et l’adhésion des cellules souches dans leur microenvironnement ; - Proposition d’un nouveau modèle mécanistique combinant l’activation AMPAR et la communication intercellulaire pour la réparation du SCI ; - Affirmation que l’activation de la “stemness” et du potentiel migratoire des cellules épendymaires est cruciale pour la régénération et le remodelage du réseau spinal.

6. Points forts et innovations de la recherche

  • Validation physiopathologique croisée : validation double par inhibition pharmacologique et invalidation génétique du rôle central d’AMPAR, raisonnement structuré.
  • Régulation de l’activation et migration des cellules souches : la modulation de la “stemness” et de la migration via l’AMPAR est une percée par rapport aux approches classiques mono-ciblées.
  • Analyse des mécanismes de communication cellulaire : utilisation novatrice de snRNA-seq et d’inférence pour décrypter la synergie CX43, FGF2, Cadherin dans les interactions entre cellules souches, neurones et cellules gliales.
  • Preuves directes de la récupération fonctionnelle : mises en évidence par des tests comportementaux et électrophysiologiques multiparamétriques, reliant la chaîne moléculaire, cellulaire et systémique.
  • Valeur de translation clinique élevée : la sécurité des ampakines ouvre des perspectives pour le développement de médicaments et d’essais cliniques pour la récupération du SCI.

7. Informations complémentaires et perspectives

L’étude analyse également les différences entre l’état de maturation et le potentiel de régénération des cellules épendymaires humaines vis-à-vis du modèle rongeur, suggérant des pistes pour la translation clinique, l’activation des stem cells humaines et la recherche future. L’article cite plus de 60 références, présentant une revue de l’évolution de la recherche sur le SCI et les cellules épendymaires, du développement à la réparation.

À l’avenir, si ce mécanisme est confirmé chez l’humain, on pourra envisager l’activation/migration des stem cells épendymaires avec lésion minimale pour la réparation du SCI, ouvrant une nouvelle ère dans le traitement de ces lésions.

8. Résumé

Ce travail démontre, de la théorie aux preuves expérimentales, une nouvelle stratégie innovante de réparation du SCI basée sur la régulation du signal AMPAR afin d’activer et de migrer les cellules souches épendymaires, réalisant une avancée majeure dans la compréhension du SCI, avec un fort impact pour la recherche et la rééducation clinique. Il pourrait offrir dans le futur de nouvelles voies pour le développement de médicaments et de thérapies cellulaires, améliorant considérablement la qualité de vie des patients souffrant de lésions médullaires.