Une population neuronale hypothalamique latérale exprimant des récepteurs de la leptine contrecarre l'anxiété pour permettre des réponses comportementales adaptatives

Publication majeure dans Nature Neuroscience — Comment les neurones à récepteur de la leptine de l’hypothalamus latéral combattent l’anxiété et régulent le comportement adaptatif

1. Contexte scientifique : un équilibre dynamique entre anxiété et comportements de survie

L’anxiété est un état émotionnel protecteur qui empêche l’individu de s’exposer à des dangers potentiels et assure sa sécurité. Cependant, l’anxiété est également une « arme à double tranchant » : elle peut interférer avec la satisfaction d’autres besoins physiologiques importants — comme la prise alimentaire, l’exploration ou l’adaptation. Plus spécialement, lorsque l’environnement extérieur est menaçant, la manière dont les animaux ou les humains trouvent un équilibre dynamique entre anxiété et comportements de survie reste un grand mystère en neurosciences.

En réalité, les troubles anxieux et les troubles du comportement alimentaire (tels que l’anorexie mentale) sont fortement comorbides, leurs interactions nuisant à la santé mentale et aux comportements adaptatifs. Des études antérieures montrent que l’hormone sécrétée par les adipocytes — la leptine — participe non seulement à la régulation de l’équilibre énergétique et de l’alimentation, mais influence également le comportement émotionnel, comme l’anxiété et la dépression. Les neurones du l’hypothalamus latéral (LH) exprimant le récepteur à la leptine (Lepr) jouent un rôle central dans la régulation de nombreux comportements de besoins, tels que l’alimentation, l’exploration, le social, etc., mais les circuits spécifiques dans l’adaptation à l’anxiété restent encore flous.

Cette étude cherche à répondre aux questions clés suivantes : 1. Lorsque l’animal fait face à une menace ou un stimulus anxiogène, les neurones du LH exprimant le récepteur à la leptine confèrent-ils la capacité de surmonter l’anxiété pour réaliser des comportements adaptatifs ? 2. Comment ces neurones modulent-ils le comportement en état sain ou pathologique (comme l’anorexie mentale) ? 3. Quel est l’impact du cortex préfrontal (prefrontal cortex, PFC) sur les neurones du LH ? La signalisation du PFC intervient-elle dans la régulation dynamique anxiété-comportement ?

2. Informations sur la publication et l’équipe d’auteurs

L’article de cette recherche s’intitule « a lateral hypothalamic neuronal population expressing leptin receptors counteracts anxiety to enable adaptive behavioral responses », publié dans la revue leader Nature Neuroscience (Nature Neuroscience | volume 28 | novembre 2025 | 2262–2272).

Les auteurs principaux sont Rebecca Figge-Schlensok, Anne Petzold, Nele Hugger, Alisa Bakhareva, et al., associés principalement à l’Institut de Physiologie des Systèmes de l’Université de Cologne, au cluster d’excellence CECAD, à l’Institut Européen des Neurosciences, etc. L’Université de Cologne (Allemagne) est le pôle central. Leurs résultats ont été publiés en ligne en novembre 2025 (doi:10.1038/s41593-025-02078-y), marquant un nouveau chapitre dans ce champ de recherche.

3. Détails du déroulement expérimental

1. Conception globale et innovation méthodologique

Pour analyser de façon systémique comment les neurones du LH à récepteur de la leptine (LeprLH) aident les animaux à surmonter l’anxiété et à accomplir exploration et nutrition, les auteurs ont mobilisé plusieurs méthodes innovantes : - Imagerie calcique à cellule unique (single-cell Ca2+ imaging) : traçage en temps réel de l’activité des neurones LeprLH dans des souris libres de tout comportement via les indicateurs calciques GCaMP6m/GCaMP8m. - Manipulation ciblée par optogénétique et chimiogénétique : activation des neurones cibles par Channelrhodopsin-2 (ChR2) et des récepteurs DREADD (Designer Receptors Exclusively Activated by Designer Drugs), pour tester l’impact de l’activation LeprLH sur l’anxiété. - Traçage de circuits neuronaux et imagerie simultanée : stimulation optogénétique de la voie PFC→LH couplée à l’imagerie des neurones LeprLH, pour décrypter le couplage fonctionnel du cortex et de l’hypothalamus. - Analyse transcriptomique unicellulaire et hybridation in situ : décryptage de la structure moléculaire des sous-populations de neurones LeprLH, identification des profils d’expression de gènes associés au risque d’anxiété et d’anorexie mentale.

2. Échantillons et sujets expérimentaux

Les sujets d’expérience principaux sont des souris adultes de 12 à 16 semaines, comportant les lignées Lepr-Cre, Nts-Cre (expression de neurotensine), C57Bl/6 (type sauvage), etc. Les deux sexes ont été employés, la répartition des groupes étant aléatoire, pour garantir la représentativité et la répétabilité. Les tailles d’échantillon principales sont : - Imagerie calcique à cellule unique : Neurones LeprLH (n=193 cellules, 16 souris, 10 femelles) ; Neurones NtsLH (n=226 cellules, 4 souris). - Expériences optogénétiques et chimiogénétiques : 7 à 11 souris par groupe. - Imagerie de fibres projetées du PFC : n=9 souris. - Analyse moléculaire : Les sets transcriptomiques incluent des milliers de neurones.

3. Processus expérimental comportemental et neurophysiologique

(1) Mesure du comportement adaptatif à l’anxiété

Les animaux explorent le labyrinthe en croix surélevé (Elevated Plus Maze, EPM), distinguant zones sûres (bras fermés) et espaces exposés (bras ouverts), permettant le déclenchement d’une réaction naturelle anxieuse. L’activité calcique LeprLH pendant l’entrée dans les bras ouverts est quantifiée et comparée entre groupes à anxiété forte et faible (selon temps passé dans la zone ouverte et le nombre d’entrées).

(2) Activation optogénétique et chimiogénétique des neurones LeprLH

Dans l’EPM et le test du champ ouvert (Open Field, OF), activation des cellules LeprLH par optogénétique (ChR2) ou chimiogénétique (DREADD-hM3Dq) et observation des modifications comportementales. Les souris activées explorent plus les bras ouverts et montrent une réduction nette de l’anxiété, sans augmentation du niveau d’activité locomotrice, la modification du comportement étant donc associée à l’état anxieux et non à la motricité.

(3) Interaction entre la voie PFC-LH et les neurones LeprLH

Stimulation optogénétique dans le LH des projections du PFC, analyse couplée de l’activité LeprLH. Les entrées du PFC vers le LH sont actives lors de l’exploration d’un nouvel environnement, et inhibent fortement les LeprLH, corrélées à l’anxiété, surtout chez les souris très anxieuses. L’activation cette voie réduit l’exploration des zones exposées, intensifie la réaction anxieuse, suggérant un rôle inhibiteur du PFC sur le circuit adaptatif du LH.

(4) Régulation de la prise alimentaire sous anxiété

Le test de prise alimentaire inhibée par la nouveauté (Novelty-Suppressed Feeding Task, NSFT) met la nourriture dans une arène lumineuse et nouvelle : la souris, bien que affamée, doit affronter l’anxiété. On observe une activation marquée des LeprLH à l’approche de la nourriture nouvelle, le niveau d’activation prédit si les animaux anxieux parviennent à se nourrir. Les souris faiblement anxieuses distinguent clairement différentes stimulations anxiogènes, tandis que les très anxieuses ont des réponses LeprLH fusionnées et peu distinctes. L’activation LeprLH réduit le délai de prise alimentaire spécifiquement dans un contexte anxiogène, aidant l’adaptation de sujets anxieux.

(5) Modèle animal d’anorexie mentale et comportement adaptatif

Le modèle d’anorexie à base d’activité (Activity-Based Anorexia, ABA) combine alimentation restreinte et roue d’exercice libre, induisant chez la souris des trajectoires comportementales analogues à l’anorexie humaine. L’activité sur la roue est étroitement liée au niveau d’anxiété, les LeprLH répondent puissamment au stimulus roue lors de la phase de restriction alimentaire, leur réponse collective variant avec l’anxiété. Chez les souris peu anxieuses, l’activation LeprLH par l’exercice est rapide et intense, tandis que les très anxieuses doivent courir plus longtemps pour atteindre le même niveau d’activation. L’activation chimiogénétique de LeprLH bloque efficacement l’activité excessive de la roue, orientée par l’anxiété dans le modèle ABA, facilitant l’économie énergétique.

(6) Exploration des mécanismes moléculaires et analyse du risque génétique

Analyses transcriptomiques et hybridation in situ décrivent les sous-populations LeprLH, révélant des groupes exprimant des gènes de risque anxiété/anorexie comme EBF1 et OPCML. L’expression d’EBF1 dans les cellules LeprLH des souris très anxieuses est considérablement réduite. L’analyse de composantes principales et les données multi-omiques mettent en évidence les sous-groupes Gal+, Tac1+, Htr2c+ impliqués dans les mécanismes moléculaires du comportement adaptatif.

4. Principaux résultats et signification scientifique

1. Les neurones LeprLH sont activés spécifiquement par des stimuli anxiogènes, permettant à l’animal de surmonter l’anxiété et d’adopter des comportements exploratoires et alimentaires adaptatifs.

  • Indépendamment du sexe, LeprLH présente une augmentation significative de signaux calciques lors de l’exploration des bras ouverts dans l’EPM, l’activation étant fortement corrélée au comportement exploratoire et au temps passé en zone ouverte.
  • Activation optogénétique et chimiogénétique des LeprLH : amélioration significative de l’exploration adaptative, réduction de l’anxiété, sans modification du niveau d’activité locomotrice.
  • La suppression de l’expression du récepteur de la leptine dans les LeprLH nuit au comportement adaptatif, confirmant le rôle central de ce sous-groupe.

2. La voie PFC-LH module négativement les neurones LeprLH, favorisant l’état anxieux et affectant les transitions comportementales adaptatives.

  • Les sorties du PFC vers le LH sont accrues lors de l’exploration de nouveauté ou du lancement de la prise alimentaire ; elles inhibent fortement les LeprLH, surtout chez les animaux anxieux, menant à une réduction de l’exploration de la zone exposée et à une augmentation de l’anxiété.

3. Les neurones LeprLH montrent une capacité de discrimination élevée entre stimulus liés à l’anxiété et à la nourriture dans des environnements nouveaux ; leur activation aide les animaux anxieux à reprendre une alimentation normale.

  • L’activité des LeprLH permet de prédire la capacité des animaux très anxieux à se nourrir en situation nouvelle ; l’activation chimiogénétique réduit nettement le délai d’accès à la nourriture, spécifiquement sous contrainte anxiogène.

4. Dans le modèle ABA d’anorexie, l’activation LeprLH par l’exercice aide à surmonter la contrainte anxieuse, prévenant l’hyperactivité et la perte énergétique — une clé pour comprendre la comorbidité anxiété-exercice dans l’anorexie humaine.

  • L’activation LeprLH neutralise l’hyperactivité induite par l’anxiété et favorise l’adaptation énergétique.
  • L’imagerie à cellule unique et les analyses de trajectoires montrent que la réponse collective LeprLH permet de prédire le comportement adaptatif selon le niveau d’anxiété.

5. Au niveau moléculaire, les sous-groupes LeprLH expriment des gènes de risque d’anxiété et d’anorexie (EBF1, OPCML), le niveau d’expression étant inversement corrélé à l’anxiété.

  • Les groupes de neurones LeprLH avec une expression élevée d’EBF1 sont associés à un faible niveau d’anxiété. Ces données moléculaires apportent des preuves sur le contrôle génétique de l’anxiété et des troubles alimentaires.

5. Conclusion de la recherche et valeur d’application scientifique

Ce travail révèle pour la première fois, et de manière systémique, que les neurones à récepteur à la leptine du LH régulent l’adaptation de comportements fondamentaux de survie — exploration, alimentation, locomotion — en contrebalançant les stimuli anxiogènes. L’activation des LeprLH est le mécanisme clé pour surmonter l’anxiété et promouvoir le comportement adaptatif, particulièrement démontré dans des modèles animaux de troubles psychiatriques (dont l’anorexie mentale). Le cortex préfrontal exerce une inhibition du circuit hypothalamique adaptatif, aggravant l’anxiété et les troubles comportementaux — offrant ainsi une nouvelle cible interventionnelle pour les troubles anxieux.

Cette étude propose un modèle de circuit neuronal de l’équilibre dynamique anxiété-comportement de survie (alimentation, exercice), fondant la compréhension mécanistique de la comorbidité psychiatrie/anorexie, et ouvre des perspectives thérapeutiques en clinique (médicaments type leptine ou interventions ciblées sur les circuits neuronaux).

6. Points forts et innovation de la recherche

  • Imagerie multimodale temps réel à cellule unique, analyse fine de l’activité neuronale sur divers contextes comportementaux.
  • Association innovante de techniques opto- et chimiogénétiques pour la manipulation neuronale et l’analyse causale précise du comportement.
  • Première révélation d’un mécanisme d’inhibition graduée exercé par le cortex préfrontal sur le circuit adaptatif du LH.
  • Typage moléculaire précis mettant en liaison les sous-populations LeprLH à des gènes de risque de troubles mentaux, créant le pont gene-comportement-circuit.
  • Modèles comportementaux couvrant états sain et pathologique, conciliant innovation fondamentale et perspective translationnelle sur la maladie.

7. Perspectives

Des approfondissements sont possibles sur la fonction des sous-groupes de risque génétique du circuit LeprLH, le potentiel d’intervention pharmacologique et la translation préclinique, particulièrement utile pour la population souffrant de comorbidités anxiété/troubles alimentaires ; cela élargit également les horizons théoriques et techniques de la recherche sur les circuits neuronaux et la dynamique cérébrale.

L’étude rapportée par Nature Neuroscience, centrée sur les circuits neurobiologiques et les mécanismes moléculaires multi-échelles, éclaire comment la vie trouve un équilibre adaptatif entre anxiété et exigences de survie — avec un impact majeur sur la psychiatrie fondamentale et la clinique.