Les rafales oscillatoires résolues anatomiquement révèlent les motifs dynamiques de l'activité thalamocorticale pendant la visualisation de stimuli naturalistes
Contexte de la recherche
Le système visuel est l’un des systèmes sensoriels les plus complexes du cerveau des mammifères. Son fonctionnement repose sur la collaboration de plusieurs régions cérébrales, en particulier la transmission d’informations entre le thalamus et le cortex visuel primaire (V1). Le traitement des informations visuelles implique non seulement l’extraction de caractéristiques de base telles que l’intensité lumineuse, le contraste et le mouvement, mais nécessite également de traiter simultanément de multiples caractéristiques spatio-temporelles dans des scènes naturelles complexes. Bien que les recherches passées aient révélé de nombreux détails sur l’activité neuronale dans le système visuel, de nombreuses questions restent sans réponse concernant la manière dont les informations visuelles sont codées dynamiquement dans le circuit thalamo-cortical, en particulier en ce qui concerne les oscillations neuronales sous stimulation visuelle naturelle.
Les oscillations neuronales sont une caractéristique importante de l’activité cérébrale, se manifestant généralement par des fluctuations périodiques dans le potentiel local de champ (local field potential, LFP). Ces oscillations sont considérées comme jouant un rôle clé dans la transmission d’informations, le codage des caractéristiques et la synchronisation neuronale. Cependant, la plupart des recherches se concentrent sur les activités oscillatoires sous stimulation artificielle (telles que les grilles ou les flashs), tandis que la compréhension des dynamiques oscillatoires sous stimulation visuelle naturelle reste limitée. Les stimuli visuels naturels, caractérisés par leur non-stationnarité et leur complexité, simulent plus fidèlement l’expérience visuelle quotidienne, ce qui rend leur étude d’une grande importance scientifique.
La question centrale de cette étude est la suivante : comment le système thalamo-visuel de la souris traite-t-il les entrées visuelles complexes à travers des oscillations neuronales rapides sous stimulation visuelle naturelle ? Plus précisément, les chercheurs visent à analyser les activités oscillatoires locales dans le V1 pour révéler comment différentes caractéristiques visuelles (telles que la luminosité, le contraste et le mouvement) induisent des modèles oscillatoires spécifiques, et à explorer comment ces modèles oscillatoires coordonnent l’activité des neurones à travers les couches corticales, formant ainsi des motifs dynamiques de circuits neuronaux.
Source de l’article
Cet article a été co-écrit par Lukas Sebastian Meyerolbersleben, Anton Sirota et Laura Busse, tous trois issus du département de neurobiologie de l’Université Ludwig-Maximilians de Munich (Allemagne). L’article a été publié le 9 juillet 2025 dans la revue Neuron, sous le titre « Anatomically Resolved Oscillatory Bursts Reveal Dynamic Motifs of Thalamocortical Activity During Naturalistic Stimulus Viewing ». La version en accès libre de l’article est disponible sur le site web d’Elsevier, avec le DOI 10.1016/j.neuron.2025.03.030.
Déroulement et résultats de la recherche
1. Déroulement de la recherche
Cette étude s’appuie sur les données du projet Allen Neuropixels Visual Coding Project de l’Allen Institute, combinant des stimuli de scènes naturelles et de vidéos dynamiques pour analyser l’activité neuronale et les potentiels locaux de champ (LFP) dans le V1 de la souris. Le processus de recherche comprend les étapes suivantes :
a) Acquisition et prétraitement des données
Les chercheurs ont utilisé des sondes Neuropixels multicanal pour enregistrer l’activité neuronale dans le V1 et le noyau genouillé latéral dorsal (dorsolateral geniculate nucleus, dLGN) de la souris. Les stimuli expérimentaux incluaient des flashs plein écran, des images naturelles et des vidéos dynamiques. Les données LFP ont été traitées par analyse spectrale multitaper pour extraire les activités oscillatoires dans différentes bandes de fréquence.
b) Détection des éclats oscillatoires
Pour capturer les événements oscillatoires transitoires et non stationnaires, les chercheurs ont développé un algorithme de détection des maxima locaux de puissance dans le temps, la fréquence et la profondeur corticale, afin d’identifier les éclats oscillatoires (oscillatory bursts) dans le V1. Ces éclats ont été classés en quatre catégories : gamma à bande étroite (narrowband gamma, nb-gamma, 50-70 Hz), gamma basse fréquence (low-gamma, 20-40 Hz), epsilon L4 (80-180 Hz) et epsilon L5 (100-180 Hz).
c) Extraction des caractéristiques visuelles
Les chercheurs ont extrait des caractéristiques visuelles telles que la luminosité locale, la puissance de fréquence spatiale (spatial frequency power) et le flux optique (optic flow) à partir des images naturelles et des vidéos, puis ont analysé la relation entre ces caractéristiques et les éclats oscillatoires.
d) Analyse du couplage de phase des neurones
En calculant la cohérence de phase (phase consistency) entre l’activité neuronale et les oscillations LFP, les chercheurs ont analysé les modèles d’activité neuronale translaminaires pour différentes catégories d’éclats oscillatoires. De plus, l’analyse de densité de courant source (current-source density, CSD) a été utilisée pour localiser les sources de courant des éclats oscillatoires.
2. Résultats principaux
a) Relation entre les éclats oscillatoires et les caractéristiques visuelles
L’étude a révélé que différentes catégories d’éclats oscillatoires étaient étroitement liées à des caractéristiques visuelles spécifiques. Les éclats gamma à bande étroite (nb-gamma) étaient significativement corrélés à la luminosité locale, tandis que les éclats gamma basse fréquence (low-gamma) étaient associés au flux optique (en particulier les bords en mouvement). Les éclats epsilon L4 et L5 étaient liés au contraste local (puissance de fréquence spatiale).
b) Activité neuronale translaminaire des éclats oscillatoires
Les éclats oscillatoires ne se limitaient pas à des couches corticales spécifiques, mais coordonnaient également l’activité neuronale à travers les couches. Par exemple, les éclats gamma à bande étroite (nb-gamma) étaient les plus marqués dans la couche L4, mais influençaient également l’activité des neurones dans les couches L2/3 et L5/6. Les éclats gamma basse fréquence (low-gamma) étaient principalement observés dans les couches L4 et L5, en lien avec le traitement des bords en mouvement.
c) Modèles de couplage de phase des neurones
L’étude a révélé les préférences de phase (phase preference) des neurones pour différentes catégories d’éclats oscillatoires. Par exemple, lors des éclats gamma à bande étroite (nb-gamma), les neurones excitateurs (excitatory neurons) de la couche L4 déchargeaient tôt dans le cycle oscillatoire, tandis que les neurones inhibiteurs (inhibitory neurons) déchargeaient légèrement plus tard. Ce modèle de séparation de phase était cohérent dans différentes conditions de stimulation, suggérant qu’il pourrait s’agir d’un motif général de circuit neuronal.
3. Conclusion et signification
Cette étude révèle les éclats oscillatoires locaux dans le V1 de la souris sous stimulation visuelle naturelle et leur relation avec des caractéristiques visuelles spécifiques, tout en introduisant le concept de « motifs dynamiques de circuits neuronaux » (dynamic circuit motifs). Ces motifs reflètent les mécanismes de coordination dynamique du système thalamo-visuel lors du traitement d’informations visuelles complexes, et pourraient soutenir un codage multiplexé des informations visuelles et une transmission d’informations spécifiques aux caractéristiques.
La valeur scientifique de cette étude réside dans la première analyse systématique des modèles d’activité oscillatoire sous stimulation visuelle naturelle, ainsi que dans la proposition de mécanismes de coordination de phase de l’activité neuronale translaminaire. Cela approfondit non seulement notre compréhension du fonctionnement du système visuel, mais fournit également un nouveau cadre pour les recherches futures, comme le décodage du contenu visuel à partir des activités oscillatoires ou le développement d’interfaces cerveau-ordinateur basées sur les oscillations.
Points forts de la recherche
- Activité oscillatoire sous stimulation visuelle naturelle : Première analyse systématique des éclats oscillatoires locaux dans le V1 sous stimulation visuelle naturelle, révélant leur relation avec des caractéristiques telles que la luminosité, le contraste et le mouvement.
- Motifs dynamiques de circuits neuronaux : Introduction du concept de « motifs dynamiques de circuits neuronaux », décrivant les mécanismes de coordination de phase de l’activité neuronale translaminaire pour différentes catégories d’éclats oscillatoires.
- Potentiel de comparaison interespèces : Les résultats offrent un nouveau cadre pour la comparaison des activités oscillatoires des systèmes visuels entre espèces, ce qui pourrait aider à révéler des principes communs de traitement des informations visuelles.
Autres informations utiles
Le code et les données de cette étude ont été rendus publics, permettant à d’autres chercheurs de les analyser et de les valider davantage. De plus, l’étude propose des pistes pour les recherches futures, comme l’utilisation de techniques d’enregistrement multiprobes pour étudier les mécanismes de coordination oscillatoire des neurones distribués, ou des expériences en boucle fermée pour révéler le rôle des types neuronaux spécifiques dans la génération et la propagation des oscillations.
Grâce à cette recherche, nous avons non seulement approfondi notre compréhension des fonctions dynamiques du système visuel, mais avons également fourni de nouveaux outils et perspectives pour les futures études en neurosciences.