Purification de l'eau potable à l'aide de cadres organométalliques : élimination des sous-produits de désinfection
Contexte académique
Avec la pénurie croissante des ressources en eau propre à l’échelle mondiale, la recherche sur les technologies de purification de l’eau potable devient particulièrement cruciale. Lors du traitement de l’eau potable, la chloration et le dioxyde de chlore sont des méthodes couramment utilisées ; bien qu’elles soient efficaces pour éliminer bactéries et virus, elles génèrent également des sous-produits toxiques comme le chlorite (ClO₂⁻) et le chlorate (ClO₃⁻). Bien que la toxicité de ces composés soit relativement faible, des études récentes suggèrent qu’une exposition prolongée à ces sous-produits pourrait être liée à des maladies chroniques et des troubles hormonaux. Ainsi, l’Union européenne a récemment fixé des normes relatives à la concentration maximale autorisée de ces composés dans l’eau potable, plafonnant la concentration de chlorite et de chlorate à 0,25 mg par litre d’eau.
Actuellement, les technologies existantes pour traiter ces sous-produits de désinfection présentent de nombreuses limites, telles que la complexité de leur mise en œuvre et de leur maintenance, un coût élevé et une faible durabilité. Par conséquent, il est devenu urgent de développer de nouvelles technologies permettant d’éliminer efficacement ces sous-produits. Les cadres organométalliques (MOFs) constituent une catégorie émergente de matériaux poreux qui, du fait de leur grande surface spécifique, de leur structure poreuse modulable et de leurs remarquables capacités d’adsorption, ont montré un potentiel considérable dans le domaine du traitement des eaux usées ces dernières années. Cependant, l’application des MOFs au traitement de l’eau potable — et, en particulier, pour l’élimination du chlorite et du chlorate — n’a pas encore fait l’objet d’études systématiques.
Source de l’article
Cet article a été rédigé par Gabriel Sanchez-Cano, Pablo Cristobal-Cueto, Lydia Saez et plusieurs autres auteurs, issus respectivement de la société Canal de Isabel II (Espagne), de l’Institut IMDEA Énergie, de l’Université Rey Juan Carlos, entre autres institutions. L’article a été publié le 10 avril 2025 dans la revue Chem, sous le titre « Drinking Water Purification Using Metal-Organic Frameworks: Removal of Disinfection By-Products ».
Processus et résultats de la recherche
1. Sélection et synthèse des matériaux
Les chercheurs ont d’abord sélectionné quatre MOFs à base de fer différents : MIL-53-NH₂, MIL-88B, MIL-88B-NH₂ et MIL-101-NH₂. Ces matériaux présentent tous une grande stabilité hydrolytique et une structure poreuse adaptée au traitement de l’eau. Ils ont été synthétisés par méthode solvothermique, puis caractérisés par diffraction des rayons X sur poudres (XRD) et analyse thermogravimétrique (TGA), confirmant ainsi la concordance de leur structure avec le modèle attendu.
2. Expériences d’adsorption statique
Dans les expériences d’adsorption statique, les MOFs synthétisés ont été suspendus dans de l’eau potable contenant différentes concentrations de chlorite et de chlorate. L’efficacité d’adsorption et la stabilité des matériaux ont été monitorées par chromatographie ionique (IC) et chromatographie liquide à haute performance (HPLC). Les résultats montrent que le MIL-88B-NH₂ présente les meilleures performances, éliminant totalement le chlorite en 15 minutes et retirant 41,4 % du chlorate en conditions de haute concentration. De plus, le MIL-88B-NH₂ a démontré une stabilité extrêmement élevée lors de l’adsorption, avec un taux de dégradation inférieur à 1 %.
3. Études cinétiques
Pour mieux comprendre le processus d’adsorption, les chercheurs ont réalisé une étude cinétique sur le MIL-88B-NH₂. Les résultats révèlent que l’élimination du chlorite est très rapide, atteignant 100 % en seulement 1 minute, tandis que l’adsorption du chlorate atteint sa saturation en 5 minutes avec un taux d’enlèvement d’environ 30 %. La cinétique d’adsorption suit un modèle pseudo-second ordre, indiquant que le processus est principalement régi par des réactions d’échange ionique.
4. Expérience d’adsorption en flux continu
Compte tenu de la performance remarquable du MIL-88B-NH₂, les chercheurs ont conçu un dispositif d’adsorption en flux continu, simulant les conditions d’exploitation d’une station de traitement d’eau potable. Les résultats expérimentaux montrent que le dispositif peut éliminer efficacement le chlorite et le chlorate pendant 3 jours, tout en maintenant la stabilité du matériau, avec un taux de dégradation inférieur à 2 %. Par ailleurs, la régénération de l’adsorbant a été réalisée efficacement et simplement par solution de chlorure de sodium, démontrant la réutilisabilité du système.
5. Simulation moléculaire
Afin de mieux comprendre le mécanisme d’adsorption, les chercheurs ont réalisé des simulations moléculaires pour étudier le comportement d’adsorption de l’eau et des ions salins dans les structures MIL-88B et MIL-88B-NH₂. Les résultats suggèrent qu’en présence d’ions salins, l’adsorption des molécules d’eau dans la structure des MOFs est significativement améliorée, et que les interactions électrostatiques entre les chlorates/chlorites et le squelette des MOFs jouent un rôle clé dans le processus d’adsorption.
Conclusion et signification
Cette étude explore pour la première fois de façon systématique l’application des MOFs dans le traitement de l’eau potable, en particulier pour l’élimination du chlorite et du chlorate. Les résultats démontrent que le MIL-88B-NH₂, en tant qu’adsorbant efficace et stable, permet une élimination rapide des sous-produits de désinfection présents dans l’eau potable, tout en conservant d’excellentes performances dans des conditions d’exploitation réelles. Grâce à la conception d’un dispositif d’adsorption en flux continu et à la régénération de l’adsorbant, les chercheurs ont prouvé la faisabilité d’une mise en œuvre des MOFs en station de traitement d’eau potable.
Sur le plan scientifique, cette étude se distingue par la première utilisation des MOFs dans le traitement de l’eau potable, offrant une solution novatrice à la problématique des sous-produits de désinfection. D’un point de vue applicatif, les MOFs se démarquent par leur grande efficacité, leur stabilité et leur caractère réutilisable, permettant de réduire significativement les coûts et la complexité des procédés de traitement de l’eau.
Points forts de la recherche
- Grande efficacité d’adsorption : Le MIL-88B-NH₂ peut éliminer totalement le chlorite en un laps de temps très court et retirer efficacement le chlorate même à haute concentration.
- Stabilité du matériau : Les MOFs présentent une très grande stabilité lors des opérations continues, avec un taux de dégradation inférieur à 2 %.
- Dispositif d’adsorption en flux continu : Les chercheurs ont conçu un système d’adsorption en flux continu qui simule les conditions réelles des stations de traitement, prouvant la faisabilité d’une application industrielle des MOFs.
- Simulation moléculaire : Les simulations moléculaires ont permis de mieux comprendre les mécanismes d’adsorption et fournissent des bases théoriques pour l’optimisation des matériaux MOFs.
Cette étude ouvre une nouvelle voie pour l’application des MOFs dans le traitement de l’eau potable et possède une grande valeur scientifique aussi bien qu’applicative.