Les inhibiteurs de peptides cycliques fonctionnent comme des colles moléculaires pour stabiliser les hétérotrimères Gq/11

Contexte académique

Les récepteurs couplés aux protéines G (GPCRs) constituent la plus grande famille de protéines membranaires chez l’homme, transmettant des signaux extracellulaires via des protéines G hétérotrimériques (composées des sous-unités Gα et Gβγ). Les protéines G agissent comme des interrupteurs moléculaires dont l’état actif est régulé par le cycle GTP/GDP :
- État inactif : Gα lié au GDP et formant un complexe stable avec Gβγ
- État actif : Après libération du GDP catalysée par les GPCRs, Gα se lie au GTP et se dissocie de Gβγ

Pendant longtemps, les outils pour inhiber spécifiquement la signalisation des protéines G ont fait défaut. Bien que les peptides cycliques naturels FR900359 (FR) et YM-254890 (YM) inhibent efficacement la sous-famille Gq/11, leur mécanisme moléculaire n’était pas entièrement élucidé. La vision traditionnelle suggérait qu’ils agissaient uniquement en “coinçant” les domaines GTPase et α-hélicoïdal de Gα pour bloquer la libération du GDP (fonction GDI). Cette étude visait à déterminer si ces inhibiteurs stabilisent également l’interface Gα-Gβγ pour exercer un effet régulateur plus large.

Source de l’article

Cette recherche collaborative internationale, dirigée par Gebhard Schertler (Institut Paul Scherrer, Suisse), Evi Kostenis (Université de Bonn, Allemagne) et Xavier Deupi (Institut Suisse de Bioinformatique), a été publiée en mai 2025 dans PNAS (Vol. 122, No. 19), DOI : 10.1073/pnas.2418398122.


Méthodologie et résultats

1. Résolution de structures cristallines à haute résolution

Objets d’étude :
- Hétérotrimère Gα11β1γ2 soluble modifié (G11in3-s)
- Cristaux en complexe avec FR ou YM

Innovations méthodologiques :
- Utilisation d’une étiquette GFP en N-terminal pour améliorer la solubilité
- Obtention de cristaux par diffusion en phase vapeur, atteignant des résolutions de 1,43 Å (complexe FR) et 1,70 Å (complexe YM) – les structures d’hétérotrimères de protéines G les plus précises à ce jour

Découvertes clés :
- Région d’ancrage 1 : Les chaînes alkyles de FR/YM s’insèrent dans l’interface Gα-Gβ, formant 4 liaisons hydrogène (FR) ou 3 liaisons (YM) avec Arg96 de Gβ
- Poche de liaison des nucléotides : Le cycle phényle des inhibiteurs interagit directement avec Ser53 de Gα (résidu conservé de la P-loop), fixant sa conformation et empêchant la libération du GDP
- Stabilisation des régions de liaison : Interaction entre Tyr67 et Linker 1 pour rigidifier le domaine α-hélicoïdal

Différences structurales :
- La présence d’un groupe propionyle supplémentaire dans FR stabilise davantage la conformation d’Arg96/Gβ
- La β-hydroxy leucine de YM adopte deux conformations, affaiblissant son interaction avec Gβ

2. Validation biophysique

Analyse de thermostabilité :
- G11in3-s sauvage (WT) : FR/YM augmentent la température de fusion ™ de 51,4°C/57,6°C (biphasique) à 60,9°C (monophasique)
- Mutant Gβ-R96A : Réduction de 1,4–1,7°C de l’effet stabilisateur

Cinétique de liaison (technologie GCI) :
- Affinité pour WT : FR (KD = 2,1 nM) > YM (KD = 5,8 nM)
- La mutation R96A réduit l’affinité par un facteur 2–3

3. Validation fonctionnelle en cellules vivantes

Système de capteurs BRET :
- Conception expérimentale : Mesure compétitive de la liaison Gβγ à GRK3ct ancrée à la membrane pour quantifier la stabilité de l’hétérotrimère
- Résultats principaux :
- 10 μM de FR/YM réduisent le signal G11 WT de 35 %/25 %
- La double mutation Gβ-R96A/D118A abolit totalement l’effet stabilisateur
- Le mutant pathogène Gβ-R96L (liaison spontanée renforcée à Gα) est insensible aux inhibiteurs

Tests d’inhibition du signal :
- Tous les mutants conservent leur capacité à inhiber l’activation par M3R, confirmant que la liaison à Gα est suffisante pour l’inhibition


Conclusions et implications

  1. Innovation mécanistique :
    FR/YM sont les premiers inhibiteurs de protéines G identifiés comme “colle moléculaire”, liant simultanément Gα (blocage de l’échange de nucléotides) et Gβ (stabilisation de l’interface), verrouillant complètement l’hétérotrimère.

  2. Impact taxonomique :
    Proposition d’une nouvelle classification des inhibiteurs :

    • Type I (ex. GD20) : Inhibent Gα mais entrent en compétition avec Gβγ
    • Type II (FR/YM) : Potentialisent l’interaction Gα-Gβγ de manière synergique
  3. Valeur translationnelle :

    • Stratégie de ciblage précis pour les maladies liées à Gq/11 (ex. mélanome uvéal)
    • Le site conservé Arg96/Gβ ouvre des pistes pour concevoir des inhibiteurs d’autres sous-familles de protéines G

Points forts de l’étude

  • Innovation technique : Résolution à 1,43 Å révélant le rôle des réseaux de molécules d’eau dans la poche de liaison
  • Innovation conceptuelle : Premier mécanisme proposé de “stabilisation active de l’hétérotrimère”
  • Guide structural : La poche polaire de la région d’ancrage 1 offre de nouvelles possibilités de conception de dérivés

Autres contributions

  • Méthodologie : Développement du système BRET-GRK3ct pour suivre la dynamique conformationnelle des protéines G dans les cellules vivantes
  • Perspective évolutive : Les toxines pathogènes (ex. toxine pertussique) et FR/YM partagent des stratégies similaires de modulation des protéines G, mais ciblent des sites différents