Le CNTF des cellules souches favorise la neurogénération de l'épithélium olfactif et la récupération fonctionnelle après une lésion
Contexte de la recherche et signification académique
L’olfaction est l’un des moyens les plus importants pour l’être humain de percevoir l’environnement extérieur, et ce sens repose essentiellement sur les neurones sensoriels olfactifs (Olfactory Sensory Neurons, OSNs) situés dans l’épithélium olfactif (Olfactory Epithelium, OE). Ces neurones possèdent la capacité de se régénérer tout au long de la vie, principalement grâce à un ensemble local de cellules souches basales : les cellules basales horizontales (Horizontal Basal Cells, HBCs) et les cellules basales globuleuses (Globose Basal Cells, GBCs). Sous des conditions physiologiques normales, les GBCs sont responsables de la division et de la différenciation en nouveaux OSNs, alors que les HBCs restent quiescentes et ne sont activées qu’après des lésions massives des OSNs pour compléter ou réparer la structure tissulaire.
Après une lésion inflammatoire aiguë causée par des facteurs chimiques ou des infections virales (telles que la COVID-19), bien que les OSNs disparaissent rapidement, conduisant à une perte partielle ou totale de l’odorat (respectivement hyposmie et anosmie), le réservoir de cellules souches reste généralement intact, rendant possible la régénération spontanée de l’épithélium olfactif et la récupération fonctionnelle. Cependant, des études cliniques et la littérature préalable indiquent qu’une part non négligeable de patients ne récupèrent pas complètement après une atteinte sévère de l’olfaction, et qu’il manque toujours des traitements ou interventions efficaces ciblant les mécanismes de régénération olfactive. Identifier les molécules clés et leurs mécanismes sur l’axe cellules souches-inflammation-régénération est capital pour comprendre la base de la régénération olfactive et développer de nouvelles thérapies.
Cette étude se concentre sur le facteur neurotrophique ciliaire (Ciliary Neurotrophic Factor, CNTF), une cytokine connue pour sa capacité à médiatiser la neuroprotection et la neurogenèse dans le système nerveux central après lésion. L’équipe des auteurs avait auparavant établi que les HBCs expriment fortement le CNTF, tandis que les GBCs expriment son récepteur CNTFα (CNTFRα), suggérant que cet axe de signalisation pourrait réguler la prolifération et la différenciation des GBCs après lésion. Cette étude vise à répondre systématiquement aux questions scientifiques clés suivantes :
- Après une lésion inflammatoire aiguë de l’épithélium olfactif, l’expression du CNTF dans les HBCs est-elle régulée à la hausse ?
- Quel est le rôle du CNTF dans la prolifération des GBCs et la génération de nouveaux OSNs ?
- Le signal CNTF influence-t-il directement le comportement olfactif et la récupération fonctionnelle ?
- Ces mécanismes peuvent-ils fournir de nouvelles cibles médicamenteuses pour la restauration des fonctions olfactives après lésion ?
Source de l’article et informations sur les auteurs
Cet article intitulé « stem cell cntf promotes olfactory epithelial neuroregeneration and functional recovery following injury » a été rédigé conjointement par Derek Cox, Brian Wang, Joe Oliver, Jaeden Pyburn, Diego J. Rodriguez-Gil, Theo Hagg, Cuihong Jia et al., principalement affiliés au Department of Biomedical Sciences, Quillen College of Medicine, East Tennessee State University, USA. L’article a été publié en 2025 dans la revue de renom « Stem Cells » éditée par Oxford University Press (DOI de l’article : 10.1093/stmcls/sxaf033), en libre accès (Open Access).
Déroulement de l’étude et démarche technique
1. Animaux expérimentaux et établissement du modèle
L’étude a utilisé au total 312 souris de divers génotypes, dont des souris knockout CNTF (cntf-/-) et leurs témoins sauvages (cntf+/+), des souris C57BL/6, ainsi que des souris transgéniques CK5Cre-Tdtomato pour le traçage cellulaire. Les souris knockout CNTF ont été rétro-croisées pendant 9 générations (99,8% de fond génétique C57BL/6) afin d’assurer l’uniformité du fond expérimental.
Le modèle de lésion inflammatoire aiguë de l’épithélium olfactif a été induit par injection intrapéritonéale de méthimazole (Methimazole, MMZ ; 75 mg/kg), qui détruit spécifiquement les OSNs et active la réponse immunitaire locale. Dans certaines expériences, du bromodésoxyuridine (BrdU) a été administré pour marquer les cellules en prolifération et permettre des analyses de localisation et de fonction.
2. Détection de l’expression du CNTF et des molécules associées
Les auteurs ont utilisé la PCR quantitative en temps réel (RT-qPCR) et le Western blot pour quantifier l’expression du CNTF, du LIF (Leukemia Inhibitory Factor), des facteurs inflammatoires (TNFα, IL-6, CD45) ainsi que des marqueurs de prolifération cellulaire (MASH1, KI67, PCNA, SOX2) dans les tissus olfactifs à différents temps après la lésion. Des cultures primaires de HBCs ont également été réalisées pour analyser la sécrétion de CNTF et sa régulation après lésion.
3. Analyse dynamique de la prolifération et différenciation des cellules souches de l’épithélium olfactif
Des techniques d’immunohistochimie et la méthode pulse-chase BrdU ont permis de quantifier et localiser les dynamiques prolifératives des HBCs (marquées par CK5) et des GBCs (marquées par MASH1) ainsi que la capacité de régénération des OSNs (marquées par OMP). La microscopie confocale à fluorescence associée à l’analyse quantitative tridimensionnelle ont permis d’élucider le devenir cellulaire sous différents génotypes.
4. Évaluation comportementale de la fonction olfactive
Deux tests comportementaux classiques de la fonction olfactive chez la souris ont été employés : le test de la nourriture enfouie (Buried Food Test), mesurant la détection et la localisation de nouvelles odeurs ; et le test d’habituation/dés-habituation olfactive, évaluant la reconnaissance et la discrimination entre odeurs neuves et familières. Tout le protocole comportemental a été mené en double aveugle afin d’exclure tout biais subjectif.
5. Analyse statistique et traitement des données
Toutes les données ont été traitées selon la répartition des groupes en utilisant des tests t bi-échantillons, des analyses de variance (ANOVA) à un ou deux facteurs avec tests post-hoc de Bonferroni, ou ANOVA à mesures répétées à deux facteurs. Le logiciel GraphPad Prism a été utilisé, les résultats étant présentés en moyenne ± écart-type, avec p < 0,05 comme seuil de signification.
Détails des principaux résultats expérimentaux
1. Lésion aiguë induit une surexpression de CNTF dans les HBCs
3 à 5 jours après la lésion de l’épithélium olfactif induite par méthimazole, les expressions de l’ARNm et de la protéine CNTF étaient augmentées de 2 à 5 fois dans les tissus. Les facteurs inflammatoires associés (TNFα, IL-6, CD45) étaient aussi augmentés. En culture primaire, les HBCs issues du groupe lésé exprimaient et sécrétaient significativement plus de CNTF que les témoins sans augmentation des facteurs inflammatoires, suggérant que les HBCs représentent la principale source de CNTF post-inflammation, et non celle des facteurs inflammatoires ou du LIF. Les HBCs lésées affichaient aussi une sur-expression des marqueurs de prolifération (KI67, PCNA).
2. Rôle clé du signal CNTF dans la prolifération des GBCs
En comparant l’évolution de la prolifération/différenciation des GBCs chez les souris CNTF+/+ et CNTF-/- avant et après lésion, il a été observé qu’après le traitement au méthimazole, le niveau d’ARNm de GBC (cellules MASH1+) était beaucoup plus élevé dans le groupe CNTF+/+. Le traçage BrdU a montré que chez les souris sauvages blessées, le nombre de cellules BrdU+ (majoritairement GBCs, >96%) augmentait de façon significative par rapport aux témoins ; chez les CNTF-/-, l’augmentation était limitée et non significative, avec 33%-40% de différence avec le groupe sauvage. Les co-marquages cellulaires ont confirmé qu’environ 80% des cellules en prolifération après lésion étaient des GBCs MASH1+, 1,5% des HBCs CK5+, et aucune contribution des cellules inflammatoires CD45+. Ceci démontre que l’activation des HBCs libérant du CNTF régule spécifiquement la prolifération des GBCs.
3. La perte de CNTF nuit à la neurogenèse mais pas à l’auto-renouvellement des GBC
En utilisant la méthode pulse-chase BrdU, la dynamique de régénération des OSNs et des GBCs à divers temps post-lésion a été comparée entre CNTF+/+ et CNTF-/-. À 3 semaines post-lésion, le groupe CNTF+/+ montrait un niveau supérieur de cellules BrdU+ dans la couche intermédiaire (région de nouvelle différenciation des OSNs) que le groupe CNTF-/-, alors que la couche basale (zone d’auto-renouvellement des GBCs) ne différait pas statistiquement. À 6 semaines, le nombre de cellules BrdU+ revenait au niveau basal avec disparition de toute différence intergroupe, montrant que le CNTF favorise principalement la différenciation GBC→OSNs, mais affecte peu l’auto-renouvellement des GBCs.
4. La déficience en CNTF retarde la récupération fonctionnelle olfactive
Les évaluations comportementales ont montré que toutes les souris échouaient à localiser la nourriture enfouie ou à discriminer les odeurs 3 jours après lésion. À 3 semaines, les souris CNTF+/+ montraient un retour substantiel de la fonction olfactive dans les deux tests comportementaux, alors que les CNTF-/- n’avaient quasiment aucun rétablissement. Après 6 semaines, les CNTF+/+ retrouvaient une fonction normale et les CNTF-/- restaient significativement retardées. Ces différences ne s’expliquent pas par une déficience motrice ou la motivation alimentaire, soulignant davantage le rôle essentiel du CNTF.
Conclusion de l’étude et valeur scientifique
Cette étude révèle systématiquement le rôle du signal HBCs-CNTF-GBCs après lésion de l’épithélium olfactif : après une lésion aiguë, les HBCs s’activent pour sur-exprimer et sécréter du CNTF, servant de signal paracrine spécifique pour promouvoir la prolifération des GBCs, leur différenciation en nouveaux OSNs, et ainsi la régénération neuronale et la récupération de l’olfaction. L’absence de CNTF réduit considérablement la régénération des GBCs, la formation des OSNs et retarde, voire empêche la restitution de la fonction olfactive.
Cette découverte approfondit la compréhension moléculaire du microenvironnement régénératif de l’épithélium olfactif, offre un socle théorique solide pour la réparation spontanée de l’olfaction et ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques centrées sur le CNTF, particulièrement dans le contexte des pertes d’odorat aiguës inflammatoires ou virales (comme la COVID-19).
Points clés et innovations de la recherche
- La fonction nodale des HBCs et du CNTF dans la chaîne de régénération neuronale olfactive est démontrée au niveau moléculaire et cellulaire, identifiant le facteur limitant la régénération post-inflammation aiguë.
- Intégration d’un panel multidisciplinaire comprenant modèle animal, cultures cellulaires et analyses comportementales, construisant une chaîne causale solide et robuste.
- Distinction minutieuse de l’effet du CNTF sur la différenciation versus l’auto-renouvellement des GBCs, apportant un argument à la théorie de la biologie des cellules souches.
- Fondement scientifique pour des interventions médicamenteuses visant la régénération de l’épithélium olfactif, notamment la délivrance locale (nasale) de médicaments analogues du CNTF.
Autres informations importantes
- Aucun conflit d’intérêts n’a été déclaré, toutes les données peuvent être obtenues auprès de l’auteur correspondant.
- La recherche a reçu plusieurs financements des NIH (tels que R01DC020528, R01NS102745, etc.), l’équipe œuvrant dans une grande rigueur collaborative.
- La bibliographie est exhaustive, et l’étude s’appuie solidement sur les avancées antérieures concernant la biologie du CNTF et la régénération des cellules souches de l’épithélium olfactif.
Résumé et perspectives
Cette recherche fondamentale approfondie enrichit non seulement la cartographie théorique de la régulation des cellules souches durant la régénération de l’épithélium olfactif, mais met surtout en lumière le potentiel thérapeutique de l’axe CNTF lors de la réparation fonctionnelle après inflammation ou lésion. À l’avenir, l’exploration de voies translationales telles que la vectorisation génique du CNTF ou l’administration nasale de biomédicaments pourrait bénéficier aux patients souffrant de troubles olfactifs ou d’autres déficiences de régénération neuronale. Cette étude promet d’avoir un impact durable sur la réparation nerveuse, la régénération sensorielle et le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques à base de cellules souches.