Le profil métabolique révèle que la synthèse des nucléotides est une vulnérabilité métabolique dans les tumeurs rhabdoïdes malignes
Reprogrammation métabolique des tumeurs découvre une vulnérabilité clé des cancers pédiatriques agressifs: une étude basée sur les modèles d’organoïdes
Introduction
Les tumeurs rhabdoïdes malignes (malignant rhabdoid tumor, MRT) sont des cancers pédiatriques extrêmement agressifs, survenant principalement chez les nourrissons et pouvant se développer dans tout le corps. La variante intracrânienne est appelée tumeur tératoïde/rhabdoïde atypique (atypical teratoid/rhabdoid tumor, AT/RT). Bien que les traitements existants incluent chimiothérapie intensifiée, radiothérapie et interventions chirurgicales, le pronostic reste extrêmement défavorable pour les cas localisés ou métastatiques, soulignant l’urgence d’identifier de nouvelles approches thérapeutiques. Par ailleurs, la reprogrammation métabolique est reconnue comme une caractéristique des cancers. L’exploitation des vulnérabilités métaboliques pourrait offrir des pistes précieuses pour traiter ces tumeurs réfractaires. Cependant, chez les tumeurs rénales pédiatriques, en particulier les MRT et AT/RT, les caractéristiques complexes de reprogrammation métabolique et leurs vulnérabilités potentielles restent mal comprises.
Dans cette optique, les auteurs de cet article exploitent la technologie des organoïdes (tumoroïdes) pour profiler le métabolisme des tumeurs rénales pédiatriques, plus spécifiquement des MRT. Les organoïdes, capables de conserver les caractéristiques génétiques, phénotypiques et métaboliques des tissus d’origine, sont considérés comme des modèles mieux adaptés à l’étude de maladies. En combinant analyses d’expression génique et métabolomique, l’équipe de recherche identifie que la biosynthèse des nucléotides constitue une vulnérabilité métabolique spécifique des MRT, validée ensuite à travers des modèles in vitro et in vivo par des traitements utilisant des médicaments approuvés ou novateurs.
Origine de l’étude
Cette étude a été menée par Marjolein M.G. Kes, Francisco Morales-Rodriguez et leurs collègues. Les principales institutions impliquées sont le “Princess Máxima Center for Pediatric Oncology” à Utrecht, Pays-Bas, ainsi que l’Université d’Utrecht. L’article intitulé “Metabolic profiling of patient-derived organoids reveals nucleotide synthesis as a metabolic vulnerability in malignant rhabdoid tumors” a été publié dans la revue Cell Reports Medicine le 21 janvier 2025.
Plan méthodologique
Design et mise en œuvre de l’étude
Analyse des signatures d’expression des gènes métaboliques :
- Séquençage en masse de l’ARNm sur des organoïdes dérivés de patients et des tissus tumoraux correspondants (45 échantillons au total, incluant des tumeurs de Wilms, des RCC et des MRT).
- Analyse ciblant principalement les gènes liés au métabolisme pour identifier des voies liées spécifiquement aux MRT.
- Utilisation d’une analyse en composantes principales (principal component analysis, PCA) et d’une analyse d’enrichissement en termes d’ontologie génétique (gene ontology, GO).
Analyse métabolomique :
- Études LC-MS (chromatographie liquide/spectrométrie de masse) sur des organoïdes MRT, des organoïdes de tumeurs de Wilms et des organoïdes de rein normal.
- Analyse approfondie des métabolites associés au métabolisme des purines et pyrimidines.
Tests de sensibilité aux inhibiteurs de la biosynthèse des nucléotides :
- Utilisation des médicaments Methotrexate (MTX) et Bay-2402234 (Bay) pour des modèles tumoraux incluant MRT, AT/RT, rhabdomyosarcome (RMS) et tissu rénal normal.
- Validation des effets apoptotiques induits par les médicaments via l’analyse en cytométrie en flux (Annexin V/DAPI).
- Détermination de la concentration inhibitrice médiane (IC50) et expérimentations de “sauvetage” par supplémentation en nucléosides ou folinate.
Expériences de marquage isotopique :
- Traçage du métabolisme utilisant du glucose [u-13C6] pour analyser les flux métaboliques et mesurer l’impact des traitements par MTX et Bay sur le métabolisme des nucléotides.
- Estimation des quantités totales et de la distribution isotopique des produits métaboliques.
Validation dans un modèle vivant (PDX) :
- Établissement de modèles de xénogreffes dérivés de patients (Patient-Derived Xenograft, PDX) chez des souris pour MRT.
- Association de régimes alimentaires sans folate avec le traitement de MTX pour observer les changements de croissance tumorale et l’expression du marqueur ki67.
Résultats
Spécificité métabolique des MRT :
- L’analyse PCA a révélé des différences significatives dans l’expression des gènes métaboliques des trois sous-types tumoraux rénaux, les échantillons MRT formant un groupe distinct des tumeurs de Wilms et des RCC.
- Les analyses GO ont montré une sur-expression significative des gènes liés à la biosynthèse des nucléotides puriques et pyrimidiques dans les MRT.
Caractéristiques de métabolisme des nucléotides :
- Les analyses LC-MS ont révélé que les organoïdes MRT présentaient des niveaux accrûs de métabolites des pyrimidines (UMP, CMP) et purines (IMP, GMP, AMP) par rapport aux organoïdes rénaux normaux.
- Les tumeurs de Wilms montraient une augmentation notable du métabolisme via le cycle TCA.
Sensibilité aux médicaments :
- MTX et Bay ont montré une efficacité exceptionnelle contre MRT et AT/RT avec des IC50 dans la plage nanomolaire, contrairement aux organoïdes rénaux normaux et tumeurs de Wilms.
- Les expériences ont validé une apoptose significative dans les organoïdes MRT traités (augmentation de 2,7× pour MTX et 2,5× pour Bay).
Résultats des expériences isotopiques :
- Une intensité plus élevée d’isotopologues enrichis en 13C ([m+6] ou plus) des purines et pyrimidines a été observée dans les MRT, signalant une capacité accrue de biosynthèse de novo.
- Les traitements MTX et Bay ont réduit les niveaux absolus et les flux isotopiques des nucléotides, inhibant efficacement leur synthèse.
Validation in vivo :
- Dans les modèles PDX de souris, le traitement avec MTX a considérablement retardé la croissance tumorale des MRT ainsi que réduit l’expression de Ki67, un marqueur de prolifération.
- Une perte de poids >20% a été observée chez certaines souris, suggérant des effets secondaires associés au MTX.
Conclusions et implications
Cette étude révèle une dépendance unique des MRT à la biosynthèse des nucléotides, fournissant une cible thérapeutique prometteuse pour ces cancers pédiatriques agressifs. Le méthotrexate (MTX), un médicament approuvé, montre un fort potentiel thérapeutique et pourrait être intégré aux schémas de traitement actuels pour améliorer les taux de survie des patients. En parallèle, Bay-2402234 émerge comme un candidat sûr et puissant grâce à sa spécificité métabolique.
Points forts et perspectives futures
Découverte de spécificités métaboliques
Cette étude révèle pour la première fois que la biosynthèse des nucléotides est une vulnérabilité clé des MRT, utilisant des modèles d’organoïdes précis.Criblage et validation de médicaments
Les résultats montrent que le ciblage des purines et pyrimidines via MTX et Bay offre une efficacité antitumorale remarquable, ouvrant des perspectives pour la médecine basée sur la précision.Potentiel de conversion clinique
Avec des validations in vivo robustes et des données de sécurité existantes, cette recherche offre de nouvelles opportunités pour traiter les tumeurs infantiles actuellement incurables.
Limites de l’étude et perspectives
Les résultats indiquent que la disponibilité de nucléosides exogènes pourrait réduire la sensibilité des MRT aux inhibiteurs, soulignant la nécessité d’utiliser des conditions plus proches de celles observées in vivo. En outre, des stratégies combinatoires et des mécanismes de résistance doivent être approfondis pour maximiser les bénéfices thérapeutiques. Globalement, cette étude marque une avancée importante dans la compréhension métabolique et le traitement ciblé des cancers pédiatriques.