La transcriptomique unicellulaire et spatiale révèle des microenvironnements divergents et des signatures de progression dans les cancers de la prostate à début précoce et tardif
Introduction générale : Nouveaux horizons dans l’hétérogénéité liée à l’âge du cancer de la prostate et perspectives en médecine de précision
Le cancer de la prostate (Prostate Cancer, PCA) est la deuxième tumeur maligne la plus fréquemment diagnostiquée chez l’homme, et la cinquième cause de mortalité liée au cancer dans le monde. Avec le vieillissement mondial de la population et l’essor du dépistage, l’âge d’apparition du cancer de la prostate se diversifie ; les cas à début précoce (Early-onset prostate cancer, EOPC, généralement définis par un diagnostic chez les hommes ≤55 ans) sont en nette augmentation, associés à un pronostic défavorable. Explorer les différences biologiques selon l’âge d’apparition, en particulier en ce qui concerne la structure et l’évolution du microenvironnement tumoral (Tumor Microenvironment, TME), est crucial pour le développement d’interventions de précision et de thérapies personnalisées selon l’âge.
L’observation clinique révèle que l’EOPC présente des différences marquées par rapport au type à début tardif (Late-onset prostate cancer, LOPC), non seulement dans ses manifestations clinique-pathologiques, mais aussi avec une survie moindre. Les études antérieures suggèrent que cette hétérogénéité est étroitement liée aux fluctuations hormonales (telles que les androgènes) et à l’activité immunitaire évoluant avec l’âge. Cependant, les études systématiques explorant aux résolutions unicellulaire et spatiale les mécanismes de survenue/progression et la reconfiguration du microenvironnement chez l’EOPC et le LOPC restent réduites. Les technologies traditionnelles de génomique à haut débit, incapables de disséquer la complexité spatiale et cellulaire, limitaient la compréhension dynamique du TME et de son interaction avec les cellules tumorales. L’équipe ayant mené cette étude répond à ce besoin par le premier atlas systématique “unicellulaire + spatial”, révélant l’hétérogénéité moléculaire, cellulaire et spatiale entre ces deux types de cancers prostatiques, et ses conséquences cliniques.
Références et présentation des auteurs
Cette avancée a été publiée dans Nature Aging (nature aging), volume 5, mai 2025, pages 909–928, DOI : 10.1038/s43587-025-00842-0. Le titre de l’article est « single-cell and spatial rna sequencing identify divergent microenvironments and progression signatures in early- versus late-onset prostate cancer ».
Les premiers auteurs sont Yifei Cheng, Bingxin Liu et Junyi Xin, les auteurs correspondants incluent Bin Xu, Mulong Du, Gong Cheng et Meilin Wang. Les membres de l’équipe relèvent de l’Université de Sud-Est, de l’Université Médicale de Nankin, etc. Les échantillons cliniques, modèles et analyses de données sont réalisés dans des centres cliniques de haut niveau en Chine.
Conception et méthodologie générale
Cette étude est un travail fondamental, multidimensionnel, avec validation croisée et à échelle multiple. Axée sur le décryptage de l’hétérogénéité des cellules tumorales et du TME dans l’EOPC vs LOPC, elle combine séquençage unicellulaire de l’ARN (scRNA-seq), transcriptomique spatiale (ST-seq), analyses GWAS sur de larges cohortes, immunohistochimie protéique, cytométrie en flux, modèles murins in vivo et vérification multicentrique sur données cliniques, dressant une carte complète de la classification cellulaire, la structure spatiale, les réseaux moléculaires et les communications cellulaires clés.
1. Cohortes et préparation des échantillons
- Collecte des tissus de patients atteints de cancer de la prostate : Inclusion de 10 patients atteints d’un PCA agressif (4 EOPC, 6 LOPC, non traités), avec un total de 63 763 cellules uniques de haute qualité pour analyse. Un second lot de validation comprend 11 EOPC et 20 LOPC sur tissus FFPE.
- Échantillons de transcriptomique spatiale : Un échantillon tumoral de chaque type (EOPC/LOPC) séquencé sur la plateforme 10x Visium, pour quantifier la distribution et l’interaction des cellules tumorales et de leur microenvironnement.
- Modèles animaux : Modélisation par injection orthotopique de tumeurs chez souris C57BL/6 de 8 mois (modèle “jeune”) et 16 mois (“âgée”), distinguant groupes avec/ sans castration (pour simuler l’hormonothérapie déprivatrice d’androgène), afin de valider la dynamique cellulaire et la réponse au traitement.
2. Analyse scRNA-seq et données spatiales
- Pipeline scRNA-seq : Correction d’effet de lot, clustering, annotation par gènes marqueurs, identification initiale de 8 grands types cellulaires (épithéliales, T, B, myéloïdes, mastocytes, endothéliales, musculaires lisses et fibroblastes), affinée par analyse CNV et sous-typage des épithéliales (malignes, normales, mixtes).
- Transcriptomique spatiale : Ancrage des types cellulaires et sous-classes sur coupe, clustering spatial, caractérisation de la distribution et communication cellulaire spécifique aux régions tumorales.
- Outils algorithmiques et innovation : Utilisation d’InferCNV (inférence CNV), AUCell (évaluation d’activité de voies), NicheNet/CellPhoneDB (interactions cellulaires), SCFEA (flux métaboliques). Les analyses GWAS sur grandes cohortes et les méta-analyses donnent une assise génétique aux ensembles géniques et enrichissent l’intégration multi-omique.
3. Stratégies de validation diverses
- Validation protéique : IHC et immunofluorescence multiplex (MIF) pour quantifier l’expression et la distribution des protéines-clé selon le sous-type.
- Cytométrie en flux : Quantification automatique des différences entre EOPC/LOPC pour les macrophages APOE+ et les fibroblastes inflammatoires.
- Analyse de cohortes cliniques : Données issues du TCGA et d’autres bases, pour recroiser typages moléculaires, survie et réponses aux traitements.
Résultats principaux et analyses
I. Composition cellulaire fortement divergente du TME de l’EOPC et du LOPC
Première découverte, les tumeurs EOPC sont riches en cellules immunitaires (T, myéloïdes) et cellules musculaires lisses vasculaires, révélant une activation immunitaire et un reprogrammation métabolique accrues ; les tumeurs LOPC sont dominées par l’accumulation d’épithéliales et de fibroblastes. Les analyses CNV confirment l’origine tumorale et la catégorisation cellulaire.
II. Réseaux moléculaires : réponse androgénique prononcée dans l’EOPC, résistance hormonale acquise dans le LOPC
Via GSEA et bases CancerSEA, il est montré que les cellules épithéliales malignes de l’EOPC activent fortement les voies de réponse à l’androgène (gènes sur-exprimés KLK3, NDRG1, ABCC4), couplées à une hypoxie significative, métabolisme lipidique et activation TNF-NF-κB – un microenvironnement tumorale sous remodelage métabolique et immunitaire. À l’inverse, le LOPC présente plutôt des sur-expression de gènes EMT/metastase/résistance (tels que CST1, TFF3) adaptatifs à des états avancés et moins dépendants des hormones.
III. Programme transcriptionnel lié à l’AR (AR-meta-program, AR-MP) : cœur de la stratification
L’analyse NMF isole 6 programmes de transcription intratumoraux, l’AR-MP (androgen response meta-program) étant central pour la stratification. Dans l’EOPC, l’AR-MP s’avère fortement activé et corrobore des résultats protéiques (KLK3, NYP, ERP60), alors que l’EMT domine dans le LOPC. Les données spatiales montrent l’association des zones tumorales à AR-MP élevé avec forte infiltration de cellules myéloïdes, en particulier les macrophages APOE+, indiquant la « coévolution » d’un microenvironnement spécifique.
IV. Les macrophages tumoraux APOE+ accélèrent la progression de l’EOPC et induisent l’immunosuppression
Disséquant 13 sous-types myéloïdes, il apparaît que les macrophages tumoraux APOE+ (TAM) sont massivement enrichis dans l’EOPC, avec des traits de polarisation M2, de cellules suppressives myéloïdes (MDSC) et de reprogrammation lipidique (dégradation d’acides gras, métabolisme du cholestérol). Spatialement, ces TAM APOE+ sont co-localisés aux régions tumorales épithéliales à AR-MP élevé, influencent la croissance/invasion via les axes FN1-integrine et EREG-EGFR, et inhibent l’activité des T (CD4+). Leur abondance s’associe à un risque accru de récidive, progression et mauvaise survie.
V. Les fibroblastes cancéreux inflammatoires (iCAF) activent EMT et résistance thérapeutique dans le LOPC
Les tumeurs LOPC montrent un enrichissement majeur en fibroblastes inflammatoires (iCAF, PDGFRA élevé/FAP élevé), qui sécrètent massivement les protéines morphogénétiques osseuses BMP4/5/7, activant le signal BMPR-SMAD, ce qui réprime l’AR-MP et stimule puissamment l’EMT, conduisant à la dédifférenciation, la résistance et la dissémination tumorale. L’analyse spatiale montre une localisation préférentielle des iCAF à la périphérie tumorale, encerclant des cellules à faible AR-MP et impactant profondément la biologie tumorale. La méta-analyse sur grandes cohortes confirme l’association entre enrichissement iCAF, dépression de l’AR-MP et diminution de la survie ; l’expression élevée de BMPs liés à iCAF marque aussi un pronostic défavorable.
VI. Âge et tabagisme aggravent l’activation iCAF/EMT, prédisposent au phénotype résistant à la castration
La corrélation directe entre antécédents tabagiques, vieillissement et distribution iCAF/BMPs a été mise en évidence, contribuant à une accentuation du processus EMT et de la perte d’AR-MP, expliquant la résistance, voire la présence préexistante de sous-populations CRPC (cancer prostatique résistant à la castration) dans le LOPC. L’intégration des résultats unicellulaires, spatiaux et des trois grandes cohortes CRPC confirme les liens entre iCAF/BMP et l’établissement clinique de la résistance à la castration.
VII. Validation multiple : modèles animaux, protéomique, cytométrie confirment les observations
Les modèles murins orthotopiques révèlent que les tumeurs “jeunes” (EOPC) dépendent plus de l’androgène, la castration freine leur croissance beaucoup plus que chez les souris âgées. Après ADT, les tumeurs de jeunes perdent AR-MP, métabolisme lipidique et hypoxie, l’infiltration iCAF s’accroît et la croissance tumorale ralentit, validant la correspondance entre mécanismes moléculaires et observations in vivo. Les résultats protéomiques et cytométriques quantifient objectivement les différences d’abondance entre APOE+ TAM et iCAF dans EOPC/LOPC, tandis que les analyses multicohortes et méta-analyses confortent la robustesse scientifique.
Conclusions, portée et perspectives
Cette étude offre pour la première fois une cartographie complète du TME de l’EOPC et du LOPC à l’échelle unicellulaire et spatiale, définissant deux voies évolutives majeures du cancer prostatique chez l’homme selon l’âge : « EOPC : TAM APOE+ → Réponse androgénique forte → Remodelage métabolique/lipidique → Immunosuppression » ; « LOPC : iCAF/BMP → Altération du signal androgène → Activation EMT → Prédisposition résistance/CRPC ». Ceci pose des bases théoriques et des axes pratiques pour la stratification moléculaire, l’intervention ciblée selon l’âge, et l’individualisation thérapeutique.
D’un point de vue scientifique, cette étude lève le voile sur la « boîte noire » de l’hétérogénéité du PCA, révélant les interactions profondes entre âge, immunité, stroma et réseaux moléculaires. Sur le plan applicatif, elle suggère que l’EOPC tirerait profit d’associations Hormonothérapie/anti-ERBB/ciblage métabolique/inhibition TAM et que le LOPC devrait privilégier des stratégies anti-CAF/BMP/EMT/résistance. La pertinence clinique du ciblage des cellules microenvironnementales clés (APOE+ TAM, iCAF) est soulignée pour accélérer l’avènement de la médecine de précision. Les liens entre mode de vie (tabac, vieillissement) et mécanismes pathologiques offrent également des pistes pour la prévention et l’intervention précoce.
Points saillants et innovations
- Nouvelle logique de classification du PCA : Première proposition d’une stratification guidée par l’âge d’apparition et le TME, intégrant génétique, moléculaire, cellulaire, spatiale et données cliniques.
- Identification et fonction du sous-type macrophagique APOE+ : Démonstration de leur rôle central dans l’immunosuppression et la reprogrammation lipidique dans l’EOPC, suggérant un double ciblage métabolique/macrophage comme voie thérapeutique révolutionnaire.
- Révélation du rôle des iCAF inflammatoires et du mécanisme de résistance préexistante : Modélisation systématique de l’axe CAF-BMP-EMT dans le LOPC, ouvrant de nouvelles solutions anti-résistance et anti-métastatique.
- Validation croisée par méthodes spatiales, modèles animaux, cohortes cliniques : Robustesse méthodologique, systématicité de la validation, conférant une haute crédibilité et potentiel translatif.
- Articulation théorie/clinique : Lien direct entre décryptage mécanistique et expérimentation in vivo souris, cytométrie, protéomique, analyse de survie – favorisant le passage à la scène médicale réelle.
Autres points d’intérêt
- Respect rigoureux de l’éthique : Tous les protocoles humains et animaux ont été validés par le comité d’éthique de l’Université Médicale de Nankin, conformes aux standards internationaux.
- Innovation algorithmique et technique : Combinaison de technologies unicellulaires/spatiales de pointe et d’algorithmes innovants, inspirant les futures recherches sur l’hétérogénéité du TME.
- Réflexion sur l’articulation mode de vie – biologie : Analyse pionnière du rôle du tabac et du vieillissement, ouvrant des pistes en santé publique et en prévention précoce.
Conclusion
Cette étude, grâce à une démarche scientifique rigoureuse, des technologies de pointe multisectorielles et un ancrage clinique marqué, redessine la carte de l’hétérogénéité du cancer de la prostate selon l’âge, éclaire de nouveaux mécanismes moléculaires et cellulaires du TME, et offre des stratégies personnalisées thérapeutiques immédiatement transposables. À l’avenir, un approfondissement des mécanismes, le développement thérapeutique et la personnalisation des interventions pourraient conduire à des percées majeures, hissant la lutte contre le cancer malin dans l’ère de la précision.