Les points chauds oxydatifs intratumoraux fournissent une niche pour la dissémination des cellules cancéreuses

L’hétérogénéité tumorale (tumor heterogeneity) est un problème important dans la recherche sur le cancer, englobant l’hétérogénéité génétique, phénotypique et microenvironnementale. Bien que le séquençage monocellulaire ait révélé l’hétérogénéité génétique et phénotypique, les études sur les facteurs non génétiques (comme l’hétérogénéité microenvironnementale) restent insuffisantes. Le stress oxydatif (oxidative stress) est l’une des caractéristiques du cancer, où les cellules tumorales, en se détachant de leur microenvironnement naturel, sont confrontées à diverses pressions, notamment des anomalies métaboliques, la détachement de la matrice extracellulaire (ECM), l’hypoxie et les attaques des cellules immunitaires, conduisant à l’accumulation d’espèces réactives de l’oxygène (ROS). Cependant, l’hétérogénéité des ROS dans les tumeurs et leur impact sur le comportement tumoral restent mal compris, principalement en raison du manque de techniques pour détecter les ROS à l’échelle monocellulaire.

Pour résoudre ce problème, les chercheurs ont développé une sonde tumorale ciblée appelée T-AP1, conçue pour suivre le peroxyde d’hydrogène (H2O2) extracellulaire, permettant ainsi de visualiser et de caractériser les cellules tumorales exposées au stress oxydatif. Cette étude vise à révéler les mécanismes de formation des points chauds oxydatifs dans les tumeurs et à explorer leur rôle dans la dissémination des cellules cancéreuses.

Source de l’article

Cet article a été co-écrit par Yoshifumi Ueda, Shigeki Kiyonaka, Laura M. Selfors et plusieurs autres chercheurs, issus de plusieurs institutions renommées, dont l’Université de Nagoya et l’Université de Kyoto au Japon. L’article a été publié en mars 2025 dans la revue Nature Cell Biology, sous le titre “Intratumour oxidative hotspots provide a niche for cancer cell dissemination”.

Processus de recherche

1. Développement et validation de la sonde T-AP1

Les chercheurs ont développé une sonde tumorale ciblée appelée T-AP1, qui combine un anticorps HER2, Alexa Fluor 647 (AF647) (un colorant fluorescent insensible au H2O2) et Peroxy Green 1 (PG1) (une sonde chimique sensible au H2O2). La conception de T-AP1 lui permet de se lier aux cellules tumorales HER2 positives et d’augmenter le rapport d’intensité fluorescente entre PG1 et AF647 (rapport PG1/AF647) lors de l’exposition au H2O2 extracellulaire, permettant ainsi la détection du H2O2 dans le microenvironnement tumoral.

Dans des expériences extracellulaires, T-AP1 a montré une haute sélectivité pour le H2O2, et son signal fluorescent est resté stable dans une plage de pH de 6,4 à 7,9. Par la suite, les chercheurs ont réalisé des expériences d’imagerie sur cellules vivantes dans plusieurs lignées cellulaires cancéreuses HER2 positives, validant la spécificité et la sensibilité de T-AP1.

2. Découverte des points chauds oxydatifs dans les tumeurs

En utilisant la sonde T-AP1, les chercheurs ont découvert dans des modèles de xénogreffes de tumeurs HER2 positives des microenvironnements riches en H2O2, appelés points chauds H2O2. Ces points chauds se situent principalement dans les régions de bourgeonnement actif (actively budding regions), où des cellules individuelles ou de petits groupes de cellules se détachent de la masse tumorale principale. Grâce à l’imagerie tridimensionnelle et à l’analyse quantitative, les chercheurs ont confirmé la relation étroite entre ces points chauds et le bourgeonnement tumoral.

De plus, les chercheurs ont validé la présence de points chauds H2O2 dans plusieurs modèles de tumeurs HER2 positives et HER2 négatives, indiquant que ce phénomène est répandu dans divers types de tumeurs.

3. Points chauds H2O2 et transition phénotypique des cellules tumorales

Pour étudier l’impact des points chauds H2O2 sur le comportement des cellules tumorales, les chercheurs ont utilisé une technique de tri cellulaire pour isoler les cellules tumorales exposées à des niveaux élevés et faibles de H2O2, puis ont effectué une analyse par séquençage d’ARN. Les résultats ont montré que les cellules tumorales exposées à des niveaux élevés de H2O2 présentaient une régulation à la hausse des gènes associés à la voie de signalisation MYC et à la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT), indiquant que ces cellules ont subi une EMT partielle.

Des expériences supplémentaires ont montré que le H2O2, en activant l’axe p38-MYC, induisait un phénotype mésenchymateux dans les cellules tumorales et favorisait leur migration et leur invasion. En outre, les chercheurs ont découvert que les cellules tumorales migraient hors des environnements riches en H2O2, suggérant un mécanisme d’échappement.

4. Rôle des neutrophiles dans la formation des points chauds H2O2

Les chercheurs ont découvert que les points chauds H2O2 dans les tumeurs étaient principalement établis par les neutrophiles. Grâce à des analyses immunohistochimiques et des expériences de déplétion des neutrophiles, les chercheurs ont confirmé le rôle clé des neutrophiles dans la formation des points chauds H2O2. De plus, les chercheurs ont développé une sonde H2O2 ciblant les neutrophiles, appelée L-AP1, validant ainsi la capacité des neutrophiles à produire du H2O2 dans le microenvironnement tumoral.

5. Impact de l’hyperactivation de NRF2 sur le bourgeonnement tumoral

Les chercheurs ont découvert dans plusieurs lignées cellulaires cancéreuses, notamment du poumon, de l’estomac et du sein, que l’hyperactivation de NRF2 (un facteur de transcription antioxydant) inhibait le bourgeonnement tumoral. En utilisant la technologie CRISPR-Cas9 pour supprimer KEAP1 (un régulateur négatif de NRF2), les chercheurs ont observé que les cellules tumorales avec une hyperactivation de NRF2, bien qu’exposées au H2O2, avaient une capacité de bourgeonnement significativement réduite. Cela suggère que l’hyperactivation de NRF2, en renforçant les programmes antioxydants et en inhibant les voies de signalisation du bourgeonnement tumoral, permet aux cellules tumorales de survivre dans des environnements de stress oxydatif.

Résultats de la recherche

  1. La sonde T-AP1 a permis avec succès une imagerie à haute résolution du H2O2 dans le microenvironnement tumoral, révélant la présence de points chauds H2O2 dans les tumeurs.
  2. Les points chauds H2O2 se situent principalement dans les régions de bourgeonnement actif, indiquant que le H2O2 joue un rôle clé dans la dissémination des cellules tumorales.
  3. Les cellules tumorales exposées au H2O2, via l’activation de l’axe p38-MYC, ont subi une EMT partielle et ont montré une capacité accrue de migration et d’invasion.
  4. Les neutrophiles sont la principale source de points chauds H2O2 dans les tumeurs, et leur déplétion a significativement réduit le bourgeonnement tumoral et la formation des points chauds H2O2.
  5. L’hyperactivation de NRF2, en renforçant les programmes antioxydants et en inhibant les voies de signalisation du bourgeonnement tumoral, permet aux cellules tumorales de survivre dans des environnements de stress oxydatif.

Conclusion et signification

Cette étude révèle pour la première fois les mécanismes de formation des points chauds H2O2 dans les tumeurs et leur rôle clé dans la dissémination des cellules cancéreuses. En développant la sonde T-AP1, les chercheurs ont permis une imagerie à haute résolution du H2O2 dans le microenvironnement tumoral, offrant ainsi un nouvel outil pour étudier l’hétérogénéité tumorale. Les résultats montrent que le H2O2, en induisant une EMT partielle et la migration des cellules tumorales, favorise la dissémination tumorale. De plus, le rôle clé des neutrophiles dans la formation des points chauds H2O2 offre une nouvelle perspective sur l’étude du microenvironnement tumoral.

La valeur scientifique de cette étude réside dans la révélation de la manière dont les cellules tumorales utilisent un mécanisme d’échappement physique pour faire face au stress oxydatif, fournissant de nouvelles perspectives sur les premières étapes de la métastase tumorale. En outre, l’inhibition du bourgeonnement tumoral par l’hyperactivation de NRF2 offre une cible potentielle pour le développement de stratégies thérapeutiques contre la métastase tumorale.

Points forts de la recherche

  1. Le développement de la sonde T-AP1 fournit un outil d’imagerie à haute résolution pour la détection du H2O2 dans le microenvironnement tumoral.
  2. Première révélation du rôle clé des points chauds H2O2 dans la dissémination des cellules tumorales.
  3. Découverte du rôle central des neutrophiles dans la formation des points chauds H2O2.
  4. Révélation du mécanisme par lequel l’hyperactivation de NRF2, en renforçant les programmes antioxydants et en inhibant les voies de signalisation du bourgeonnement tumoral, permet aux cellules tumorales de survivre dans des environnements de stress oxydatif.

Cette étude offre non seulement de nouvelles perspectives sur l’hétérogénéité tumorale et les mécanismes de métastase, mais fournit également des cibles potentielles pour le développement de stratégies thérapeutiques ciblant le microenvironnement tumoral.