Les macrophages interstitiels associés aux nerfs et aux voies respiratoires atténuent la pathogenèse du SARS-CoV-2 via la signalisation des interférons de type I

I. Contexte académique

La pandémie de COVID-19 a révélé l’importance des mécanismes de régulation immunitaire dans les infections virales respiratoires. Malgré les progrès vaccinaux, les mutations rapides du SARS-CoV-2 constituent toujours une menace pour la santé publique. Les études montrent que les cas graves de COVID-19 sont souvent liés à une dysrégulation immunitaire plutôt qu’à la charge virale directe. Dans ce contexte, le rôle des macrophages résidents tissulaires (tissue-resident macrophages, RTMs) dans le maintien de l’équilibre immunitaire pulmonaire est devenu une question scientifique clé.

Les poumons abritent plusieurs sous-populations de macrophages, dont les macrophages interstitiels associés aux nerfs et aux voies respiratoires (nerve- and airway-associated macrophages, NAMs), une sous-population récemment découverte. Des recherches antérieures ont montré que les NAMs possèdent des fonctions immunorégulatrices lors d’infections grippales, mais leur mécanisme d’action lors d’une infection par le SARS-CoV-2 restait mal compris. Cette étude vise à élucider un nouveau mécanisme par lequel les NAMs régulent l’infection par le SARS-CoV-2 via la signalisation des interférons de type I.

II. Source de l’article

Cet article est le fruit d’une collaboration entre Stephen T. Yeung, Payal Damani-Yokota et d’autres chercheurs du Département de microbiologie de la NYU Grossman School of Medicine, sous la direction du professeur Kamal M. Khanna (auteur correspondant). L’équipe comprend également des collaborateurs issus de divers départements, notamment la médecine pulmonaire et des soins intensifs, ainsi que le centre de vaccinologie. Publié le 13 mai 2025 dans la prestigieuse revue Immunity (facteur d’impact : 43.474), l’article est accessible via le DOI : 10.1016/j.immuni.2025.04.001.

III. Méthodologie et découvertes

1. Conception expérimentale et méthodes

a) Modèles animaux

  • Modèle de délétion spécifique des NAMs : Croisement de souris CD169-Cre avec des souris B6N.129P2-Cx4cr1tm3(DTR)Litt/J pour créer un modèle NAM-DTR (diphtheria toxin receptor), permettant une élimination spécifique des NAMs.
  • Modèle de knock-out conditionnel : Développement de souris CD169-Ifnar CKO (CD169cre/wtIfnarflox/flox) avec inactivation spécifique du récepteur d’interféron de type I dans les macrophages CD169+.

b) Infection virale

  • Utilisation d’une souche adaptée de SARS-CoV-2 (MA-10, 1000 PFU) administrée par voie intranasale.
  • Groupes expérimentaux : wild-type (WT), NAM-DTR et Ifnar-CKO (n=4-5 par groupe).
  • Paramètres surveillés : survie, perte de poids, score histopathologique pulmonaire (aux jours 2 et 5 post-infection).

c) Techniques analytiques multimodales

  • Cytométrie en flux : Quantification des sous-populations immunitaires pulmonaires (neutrophiles CD45+Ly6G+, macrophages alvéolaires CD169+CD11c+, etc.).
  • Dosage multiplex de cytokines : Technologie Luminex pour 28 marqueurs inflammatoires (IFN-α/β/γ, IL-1β, IL-6, etc.).
  • Microscopie confocale : Reconstruction 3D de la distribution virale (marquage par anticorps anti-Spike S2 du SARS).
  • Transcriptomique unicellulaire : Analyse de bases de données publiques pour caractériser les macrophages NAM-like humains.

2. Résultats clés

a) Rôle crucial des NAMs dans la survie

  • Différence de mortalité : 100% de mortalité à J4-5 dans le groupe NAM-DTR (p,0001) contre 0% chez les WT.
  • Lésions pulmonaires : L’absence de NAMs provoque des lésions aiguës sévères, avec épaississement alvéolaire (3,2±0,5 μm vs 1,8±0,3 μm chez les WT) et infiltration neutrophilique accrue (5,6×10⁵ vs 2,1×10⁵ cellules).

b) Contrôle viral

  • Confinement spatial : Chez les WT, le virus reste localisé dans l’épithélium des grosses voies aériennes (12,3% de surface positive à J2), alors qu’il diffuse dans tout le poumon chez les NAM-DTR (41,7%).
  • Différences entre sous-populations : Les macrophages alvéolaires (AMs) sont infectés (18,5% de détection virale), contrairement aux NAMs (0%).

c) Réseau de régulation inflammatoire

  • Tempête cytokinique : À J5, les taux de cytokines pro-inflammatoires sont significativement plus élevés chez les NAM-DTR :
    • IL-6 : 1 842 pg/mL vs 326 pg/mL (WT)
    • MCP-1 : 38 765 pg/mL vs 1 024 pg/mL (WT)
  • Activation neutrophilique : Augmentation de 4,3x des marqueurs de NETosis (coloration H3).

d) Mécanisme dépendant de l’IFN de type I

  • Dépendance à Ifnar : Les souris Ifnar-CKO reproduisent intégralement le phénotype NAM-DTR (100% de mortalité).
  • Prolifération : Expansion des NAMs x2,8 chez les WT, mais pas chez les Ifnar-CKO (cellules Ki-67+ : 34,2% vs 8,7%).

3. Pertinence clinique humaine

  • Transcriptomique unicellulaire : Identification d’une sous-population de macrophages NAM-like humains exprimant FOLR2, F13A1, GAS6.
  • Données de patients graves : Expression réduite des gènes NAM (2,1-3,8x, p,01) et élévation marquée de l’IL-6/MCP-1 dans le LBA.

IV. Valeur et innovations

1. Impact scientifique

  • Première démonstration du rôle des NAMs dans la “tolérance aux maladies” (disease tolerance) via Ifnar.
  • Mise en évidence de réponses spécifiques aux sous-populations : prolifération des NAMs dépendante d’Ifnar (vs AMs indépendantes).

2. Applications cliniques

  • Nouveaux biomarqueurs potentiels pour les formes graves de COVID-19 (signature transcriptionnelle des NAMs).
  • Piste thérapeutique ciblant l’axe NAM-Ifnar pour les infections virales respiratoires.

3. Innovations méthodologiques

  • Développement du modèle murin CD169-Ifnar CKO.
  • Approche multiscalaire (de la cellule unique à la pathologie globale).

V. Points forts

  1. Avancée conceptuelle : Théorie de la “régulation immunitaire spatio-temporelle spécifique aux sous-populations macrophagiques”, expliquant l’effet protecteur disproportionné des NAMs.
  2. Intégration technologique : Combinaison de modèles génétiques (DTR, CKO) et de big data cliniques (RNA-seq unicellulaire, protéomique).
  3. Potentiel translationnel : Découverte de gènes NAM conservés entre espèces, ouvrant des perspectives diagnostiques.

VI. Perspectives

Les auteurs identifient trois axes futurs : - Identification des molécules immunorégulatrices sécrétées par les NAMs. - Étude des voies de signalisation en aval d’Ifnar (ISG15, IFITM3…). - Rôle des NAMs dans d’autres infections virales (RSV, MERS-CoV).

Considérée comme un “jalon majeur en immunologie respiratoire” par les relecteurs, cette étude redéfinit notre compréhension de l’hétérogénéité fonctionnelle des macrophages résidents tissulaires.