L’épissage aberrant produit une exonisation de l’expansion répétée de C9orf72 dans la SLA/DFT

Dernières découvertes dans Nature Neuroscience : un nouveau mécanisme pathogène de C9orf72 dans ALS/FTD révélé

Contexte scientifique et motivation de la recherche

La sclérose latérale amyotrophique (SLA, Amyotrophic Lateral Sclerosis) et la démence frontotemporale (DFT, Frontotemporal Dementia) sont parmi les maladies neurodégénératives les plus complexes et les plus difficiles à traiter en médecine clinique ; leurs mécanismes pathogènes restent largement incomplètement élucidés. Ces dernières années, l’expansion hexanucléotidique répétée (G4C2, ggggcc) située sur le premier intron du gène ouvert de lecture du chromosome 9, C9orf72, est reconnue comme l’un des facteurs génétiques les plus courants dans la SLA/DFT. Chez les patients, le nombre de répétitions peut passer de moins de 12 (normal) à des centaines, provoquant une forte incidence de ces troubles.

Cependant, l’expansion répétée de C9orf72 se trouve dans une région non codante (intronic region), et, selon la théorie traditionnelle, l’ARN d’intron est généralement dégradé ou retenu dans le noyau après épissage, rendant son accès au cytoplasme et sa traduction difficiles. Bien que des recherches antérieures aient prouvé que l’expansion répétée de C9orf72 peut coder divers dipeptides pathogènes (dipeptide repeat proteins, DPRs) via des mécanismes indépendants de AUG (repeat-associated non-AUG, RAN translation), la façon dont l’ARN intronique est exporté et accède au mécanisme de traduction demeure une question en suspens, sans avancée majeure dans le domaine.

Dans ce contexte, cette étude vise à révéler le mécanisme moléculaire précis permettant à l’ARN NRE (Nucleotide Repeat Expansion) du C9orf72 intronique d’être traduit dans le cytoplasme, en explorant le rôle potentiel des processus de maturation ou d’épissage de l’ARN, et à ouvrir de nouvelles stratégies thérapeutiques pour la SLA/DFT.

Informations sur l’article et équipe d’auteurs

L’article, intitulé “Aberrant splicing exonizes c9orf72 repeat expansion in als/ftd”, a été publié dans Nature Neuroscience (volume 28, octobre 2025, pp. 2034–2043), mis en ligne le 11 août 2025. L’équipe d’auteurs rassemble des chercheurs de l’école de médecine de l’Université Yale (Yale University School of Medicine), du programme interdisciplinaire en neurosciences de Yale (Interdepartmental Neuroscience Program), de la Mayo Clinic (Mayo Clinic Graduate School of Biomedical Sciences, Department of Neuroscience), ainsi que de la Faculté de médecine de l’Université de l’Alabama à Birmingham (University of Alabama at Birmingham School of Medicine), parmi d’autres instituts renommés. Le correspondant principal est Junjie U. Guo (junje.guo@yale.edu).

Description détaillée du protocole expérimental et innovations méthodologiques

1. Méthodologie et innovations expérimentales

1.1 Sujets d’étude et groupes

L’étude utilise divers types d’échantillons : fibroblastes dérivés de patients, motoneurones dérivés de cellules souches pluripotentes induites (iPSC-derived motor neurons, MNs), échantillons de tissus cérébraux, etc. Les échantillons sont répartis en groupe patients avec expansion hexanucléotidique C9orf72 (c9 nre+) et un groupe contrôle sans expansion (c9 nre–). La cohorte comprend de nombreux patients, ainsi que des données issues de la collaboration entre le New York Genome Center et le Target ALS Consortium (105 échantillons c9 nre+ et 503 échantillons c9 nre–).

1.2 Traitement des échantillons et protocoles moléculaires

Le protocole expérimental, à haute innovation, introduit une technologie exclusive de capture et de séquençage NRE (nre-capture-seq), afin d’identifier les ARN NRE de C9orf72, rares et difficilement détectables. Les étapes clés sont les suivantes :

  • Capture antisens d’ARN et séquençage (ASO-based nre-capture-seq)
    L’équipe utilise des oligonucléotides antisens marqués par la biotine en 5’ (antisense oligonucleotides, ASOs) ciblant la répétition hexanucléotidique de C9orf72 ((ccccgg)3). Après extraction des ARN cytoplasmiques de fibroblastes, neurones moteurs et tissus cérébraux, une hybridation est réalisée. La capture s’effectue via des billes magnétiques à streptavidine, les hybrides ARN-ADN sont ensuite digérés par la RNase H pour libérer l’ARN NRE cible, puis ces ARN sont séquencés à haut débit après un processus de construction de bibliothèque « low-input ».

  • Fractionnement subcellulaire et RT-qPCR
    Pour localiser avec précision la répartition de l’ARN NRE entre le noyau et le cytoplasme, la fraction nucléaire et cytoplasmique est analysée séparément après enrichissement en ARN NRE et PCR quantitative.

  • Détection de nouveaux sites d’épissage et analyse
    Grâce au séquençage haute sensibilité et aux outils bioinformatiques (STAR, samtools markdup), l’équipe analyse systématiquement les isoformes d’épissage et la couverture du locus, quantifiant l’utilisation des nouveaux sites d’épissage aberrants.

  • Expériences d’intervention fonctionnelle
    L’impact de l’interférence par siRNA (ciblant les facteurs d’épissage et protéines liant l’ARN, tels que SRSF1) ainsi que des gapmer-ASO (ciblant les isoformes anormales) est évalué en mesurant les changements dans l’épissage et le niveau des DPR. L’expression protéique est quantifiée de manière très sensible grâce aux immunodosages sandwich Meso Scale Discovery.

1.3 Modélisation et expériences de mécanismes d’épissage

  • Système double-luciférase et modèles d’épissage artificiel
    Différentes longueurs de répétition C9orf72 (ggggcc) sont insérées dans des vecteurs rapporteurs de luciférase uniques (avec ou sans intron). La traduction et l’épissage sont analysés après transcription et/ou transfection d’ARN, ce qui révèle les effets du motif répété sur l’épissage et l’efficacité de la traduction, et permet de distinguer les effets directs de l’épissage des effets sur le transport ou la traduction par des expériences de transcription in vitro et transfection d’ARN.

  • Criblage par siRNA et identification de facteurs fonctionnels
    Un criblage massif des protéines connues liant l’ARN NRE permet d’identifier les médiateurs cruciaux de l’épissage aberrant.

2. Principaux résultats expérimentaux et interprétation des données

2.1 Capture de l’ARN NRE et caractéristiques des isoformes

Après nre-capture-seq, l’ARN NRE de C9orf72 est considérablement enrichi dans les échantillons par rapport aux contrôles; les produits DPR du gène cible augmentent d’un facteur proche de 1000. Les cellules de contrôle montrent une couverture du locus C9 quasi nulle, conduisant à une méthode hautement spécifique et sensible.

2.2 L’épissage aberrant mène à l’« exonisation » de la région NRE

La découverte centrale : l’expansion hexanucléotidique de C9orf72 altère l’épissage de l’intron 1, activant plusieurs sites cryptiques d’épissage 5’ en aval, ce qui conduit à l’incorporation de la région NRE dans un exon 1 allongé. Les trois isoformes principales utilisent différents sites d’épissage 5’ (ex1b, ex1c, ex1d), mais le même site d’épissage 3’, générant de nouveaux ARN m/s cytoplasmiques susceptibles d’être traduits. Ces isoformes abondent dans les cerveaux de patients SLA/DFT, leur production étant sous le contrôle du facteur d’épissage SRSF1.

2.3 Isoformes aberrantes : export nucléaire efficace et matrice pour la traduction des DPR

Les analyses de fractionnement nucléaire/cytoplasmique et de PCR quantitative montrent que la majorité des isoformes « exonisées » migrent efficacement vers le cytoplasme, avec une distribution comparable à celle de l’ARNm C9 normal (40–60%). L’interférence siRNA contre l’exon 2 démontre que ces isoformes d’épissage sont les matrices efficaces pour la traduction des DPR, leur inhibition provoquant une baisse significative des dipeptides PolyGA et PolyGP.

2.4 Régulation cellulaire spécifique du comportement d’épissage aberrant

Chez les motoneurones dérivés d’iPSC de patients, l’isoforme aberrante ex1c–ex2 s’avère prédominante dans l’ARN NRE, sa fréquence étant très supérieure à celle des fibroblastes, suggérant une régulation spécifique à la lignée cellulaire. L’utilisation de gapmer-ASO ciblant ex1c–ex2 réduit significativement les niveaux de DPR, mettant en avant une perspective thérapeutique.

2.5 Validation du mécanisme d’épissage aberrant dans de larges cohortes de cerveaux humains

L’analyse des données du New York Genome Center montre une élévation généralisée des isoformes ex1c–ex2, ex1d–ex2, ex1e–ex2 dans les régions cérébrales c9 nre+ (cervelet, cortex frontal/cortex moteur). Quelques échantillons non NRE présentent également de faibles niveaux d’épissage aberrant, indiquant une activation renforcée du mécanisme en présence d’un NRE, mais une occurrence spontanée mineure à l’état normal.

Une analyse supplémentaire du statut nucléaire de TDP-43 confirme que l’épissage aberrant observé est un effet direct du NRE, indépendamment de la perte de fonction TDP-43.

2.6 Activation de sites d’épissage dépendante de la longueur du motif répété

Les expériences de génie génétique avec des vecteurs rapporteurs luciférase confirment qu’à partir de >33 répétitions GGGGCC (seuil pathologique), de nouveaux sites cryptiques d’épissage 5’ sont massivement activés. Ce mécanisme n’affecte pas l’efficacité des sites d’épissage classiques mais promeut directement l’usage de sites cryptiques, agissant de manière « cis » sur le transcrit, avec très faible impact sur le transcriptome endogène.

2.7 Rôle clé du facteur d’épissage SRSF1

Le criblage par siRNA démontre le rôle central de SRSF1 dans la régulation de l’épissage aberrant de l’ARN NRE ; son inhibition réduit considérablement les isoformes aberrantes, l’export cytoplasmique de l’ARN NRE et les DPR, sans affecter la transcription C9 ni le niveau nucléal pre-mRNA. SRSF1 apparaît comme une cible thérapeutique majeure, favorisant l’« exonisation » et la traduction cytoplasmique de l’ARN NRE par son activité d’épissage.

3. Conclusions, portée scientifique et valeur applicative

3.1 Éclaircissement du mécanisme

Ce travail démontre pour la première fois que l’expansion hexanucléotidique C9orf72 ne transmet pas son code protéique pathogène par rétention intronique ou export sous forme de lariat d’intron, mais par activation de site(s) cryptique(s) d’épissage 5’ en aval, exonisant la région NRE dans un exon 1 étendu, produisant ainsi un ARNm à coiffe 5’, épissé et polyadénylé, exporté efficacement et traduit via le mécanisme RAN. Le processus dépend de la taille de la répétition et de la régulation par SRSF1 et autres facteurs d’épissage.

3.2 Application et valeur innovante

  • Nouvelles cibles thérapeutiques pour SLA/DFT : Cibler des facteurs d’épissage aberrant tels que SRSF1 ou les isoformes aberrantes elles-mêmes avec des ASO peut réduire efficacement les protéines dipeptidiques pathogènes, ouvrant la voie à de nouvelles stratégies de thérapie génique.
  • Avancées conceptuelles dans la biologie de l’épissage : Ce travail clarifie le rôle clé de l’« exonisation » dans les maladies neurogénétiques à expansion répétée, inspirant la recherche sur d’autres pathologies similaires (HD, DM1/2).
  • Innovation méthodologique et applications transverses : Le protocole nre-capture-seq est une avancée dans la capture sensible d’ARN rares liés à la maladie, applicable à d’autres pathologies, avec des plans d’intervention ASO/siRNA très modulables.

3.3 Points forts de la recherche

  • Nouvelle compréhension moléculaire du facteur génétique majeur dans ALS/FTD, résolvant le mystère de la traduction cytoplasmique des ARN non codants.
  • Mise en évidence de la spécificité cellulaire de l’épissage aberrant et de l’exonisation, guidant le développement clinique ciblé.
  • Développement d’une technologie de capture et d’analyse efficace pour les ARN NRE, ouvrant la voie à l’étude des ARN rares.
  • Proposition de SRSF1 et des facteurs d’épissage reliés comme cibles médicamenteuses innovantes, et clarification des voies moléculaires pathogènes.

Autres informations utiles

  • Les résultats suggèrent l’existence possible de mécanismes d’« exonisation » similaires dans les ARN NRE antisens et pour d’autres maladies à expansion répétée, invitant à l’élaboration de méthodes d’analyse comparables.
  • La base de données et les protocoles analytiques employés (STAR, samtools, etc.) sont transposables à l’analyse de transcriptomes d’autres maladies neurogénétiques.
  • Quant aux vecteurs rapporteurs NRE, les auteurs soulignent la nécessité, dans les futures expériences, de valider l’absence d’épissage aberrant ou d’artefacts d’expression associés avant d’interpréter les mécanismes RAN translation.

Ce travail, publié en 2025 dans Nature Neuroscience, révèle de façon innovante que l’ARN issu de l’expansion répétée C9orf72 dans ALS/FTD peut accéder au cytoplasme et à la traduction grâce à une exonisation anormale, définissant finement son mécanisme moléculaire et proposant de nouvelles cibles thérapeutiques, marquant un progrès majeur dans le domaine des maladies neurogénétiques.