Analyse unicellulaire du liquide céphalo-rachidien révèle des caractéristiques communes de l'inflammation neurologique

Analyse unicellulaire révèle des caractéristiques communes de l’inflammation neuroprivilégiée

L’inflammation neuroprivilégiée (neuroinflammation) est une caractéristique pathologique centrale des maladies du système nerveux, impliquant des interactions complexes entre le liquide céphalorachidien (LCR) et le système immunitaire périphérique. Bien que des études antérieures aient identifié l’expansion clonale des lymphocytes dans le LCR dans la sclérose en plaques (SEP) et d’autres maladies neuroinflammatoires, les caractéristiques, les mécanismes dynamiques de ces cellules immunitaires, et leurs distinctions entre santé et maladie demeurent des énigmes scientifiques. Afin de mieux comprendre l’organisation du microenvironnement immunitaire du LCR et d’élucider son rôle biologique dans les états pathologiques, Benjamin M. Jacobs et ses collaborateurs ont mené une étude détaillée.

Cet article, publié le 21 janvier 2025 dans la prestigieuse revue Cell Reports Medicine, est le fruit d’une collaboration entre des chercheurs de l’Université de Cambridge (Royaume-Uni), de l’Université Queen Mary de Londres, et de l’Université technique de Munich (Allemagne). Ces travaux ont bénéficié du soutien de l’UK MS Society et du programme européen Horizon 2020. En combinant la technique de séquençage unicellulaire de l’ARN (scRNA-seq) et le séquençage des récepteurs lymphocytaires, les auteurs ont analysé les cellules et programmes transcriptionnels du LCR, révélant des caractéristiques immunitaires communes entre la SEP et d’autres pathologies neuroinflammatoires.


Contexte et objectifs de l’étude

Les chercheurs soulignent que, bien que le LCR ait longtemps été considéré comme une zone “immune privilégiée”, il contient en réalité une riche population de cellules immunitaires, particulièrement dans les maladies neuro-inflammatoires chroniques telles que la sclérose en plaques (SEP). On y observe, notamment, une expansion clonale des lymphocytes, conduisant à des anomalies immunitaires, notamment la formation de bandes oligoclonales d’anticorps. Cependant, les mécanismes par lesquels les cellules B et T pénètrent dans le LCR en contexte inflammatoire, ainsi que les déclencheurs spécifiques de l’expansion clonale, restent à clarifier.

L’objectif principal de cette étude : analyser, à une résolution unicellulaire, le microenvironnement immunitaire du LCR en conditions inflammatoires et non inflammatoires, afin d’identifier les caractéristiques communes et spécifiques entre la sclérose en plaques (SEP) et d’autres maladies neuroinflammatoires.


Processus et méthodologie de l’étude

Sujets et échantillons

L’étude a analysé un total de 354 055 cellules du LCR et 422 809 cellules de sang périphérique (PBMC) provenant de 123 participants, répartis en quatre groupes : - Sclérose en plaques (SEP) : 76 échantillons de PBMC et 203 220 cellules de LCR. - Autres maladies neurologiques inflammatoires (OIND) : 19 patients et 30 796 cellules de LCR. - Maladies neurologiques infectieuses (ID) : 23 patients et 83 339 cellules de LCR. - Maladies neurologiques non inflammatoires (NIND) : 36 témoins et 36 700 cellules de LCR.

Les chercheurs ont utilisé des techniques de séquençage génomique (scRNA-seq) et de séquençage des récepteurs immunitaires pour analyser ces populations cellulaires et accompagner leurs analyses par des approches bio-informatiques robustes.


Étapes et méthodes expérimentales

(1) Analyse transcriptionnelle unicellulaire et composition cellulaire

À l’aide de cartes UMAP (uniform manifold approximation and projection), les chercheurs ont mis en évidence des différences marquées entre les nombreux types de cellules : 1. En l’absence d’inflammation, le LCR est enrichi en cellules dendritiques (DC), cellules T-CD8+, cellules T régulatrices (Tregs) et macrophages spécifiques, par rapport au sang périphérique (PBMC), où les cellules B et les monocytes dominent. 2. En contexte inflammatoire, le LCR est marqué par une présence accrue des cellules sécrétant des anticorps (antibody-secreting cells, ou ASCs), un phénomène particulièrement prononcé dans la SEP et les maladies infectieuses.

(2) Analyse clonale des lymphocytes et séquençage des récepteurs immunitaires

Les chercheurs ont détecté 602 groupes clonaux de cellules B et 11 541 clones de cellules T, parmi lesquels : - Pour les cellules B : L’expansion clonale est plus significative dans la SEP (53,4 % des clones), dominée par des cellules sécrétant des anticorps de type IgG1. - Pour les cellules T : L’expansion clonale concerne principalement les cellules T-CD8+ à mémoire effectrice, avec une forte association avec des récepteurs spécifiques au virus Epstein-Barr (EBV) et au cytomégalovirus (CMV).

(3) Analyse différentielle et enrichissement fonctionnel

  • Les cellules immunitaires dans le LCR montrent une surexpression généralisée des marqueurs de “résidence tissulaire”, de cytotoxicité et de présentation d’antigènes.
  • Une analyse d’enrichissement génomique (GSEA) révèle l’activation de gènes liés au métabolisme du cholestérol dans les cellules du LCR, suggérée par l’implication des facteurs transcriptionnels SREBF1 et SREBF2.
  • Le gène CCL22 est fortement exprimé dans les cellules ASCs chez les patients atteints de SEP, avec des expressions spécifiques aussi observées pour CD99 et CRIP2.

(4) Étude eQTL unicellulaire

L’équipe a identifié plusieurs régions de régulation transcriptionnelle spécifiques au LCR (eQTL), notamment : - EAF2 : une expression réduite de ce facteur dans la SEP pourrait favoriser une prolifération excessive des cellules B. - ZC2HC1A : principalement exprimé dans les cellules du LCR et lié au risque génétique de SEP.


Résultats principaux et découvertes

  1. Une augmentation des cellules sécrétant des anticorps (ASCs) dans le LCR marque l’inflammation neuroprivilégiée.
    Cette caractéristique est observée dans la SEP, les OIND et les maladies infectieuses, et constitue davantage un marqueur général d’inflammation qu’une spécificité de la SEP.

  2. Un profil transcriptionnel unique des lymphocytes clonaux dans le LCR.
    Les cellules immunitaires dans le LCR affichent des caractéristiques distinctes tant sur le plan transcriptionnel que clonale, comparé au PBMC.

  3. Une régulation transcriptionnelle limitée mais significative dans la SEP.
    Peu de différences majeures émergent entre catégories inflammatoires, mais certains gènes restent spécifiquement sur-exprimés dans la SEP (Ex. CCL22).

  4. Une analyse eQTL souligne des mécanismes clé associés au risque de SEP.
    Notamment l’influence des gènes liés au métabolisme cellulaire et à la migration des lymphocytes.


Importance de l’étude

Cette étude, grâce à l’intégration des technologies unicellulaires, offre une analyse complète et sans précédent du LCR, avec des implications majeures :
1. Avancer dans la compréhension de l’immunité neuro-inflammatoire.
2. Éclairer les mécanismes pathologiques propres à la SEP.
3. Identifier des cibles potentielles pour le développement médicamenteux.

En combinant taille, méthodologie et technologies de pointe, ces travaux fournissent des bases solides pour l’exploration future des maladies neuro-inflammatoires.