Architecture in situ du complexe prohibitin humain
Contexte académique
Les mitochondries sont les centrales énergétiques des cellules, et l’intégrité de leur membrane interne (mitochondrial inner membrane, MIM) est cruciale pour les fonctions cellulaires. Les prohibitines (PHB) constituent une famille de protéines hautement conservées, comprenant deux sous-types, PHB1 et PHB2, qui jouent un rôle important dans divers processus cellulaires, notamment la signalisation du stress mitochondrial, la régulation du cycle cellulaire, l’apoptose et la modulation de la longévité. Bien que PHB1 et PHB2 soient considérées comme des protéines d’échafaudage dans la membrane interne mitochondriale, leur organisation moléculaire est longtemps restée incertaine. Des études antérieures utilisant la microscopie électronique à coloration négative (EM) sur la levure ont suggéré que les hétérodimères PHB1/PHB2 pourraient former des structures annulaires d’environ 20 nm de diamètre, mais ces hypothèses manquaient de preuves expérimentales directes. Ainsi, la révélation de la structure moléculaire du complexe prohibitin humain est essentielle pour comprendre son rôle dans le maintien de l’intégrité et de l’organisation spatiale de la membrane interne mitochondriale.
Source de l’article
Cette étude a été menée par une équipe de chercheurs issus du Max Planck Institute for Multidisciplinary Sciences, du University Medical Center Göttingen, d’Altos Labs, entre autres. Les auteurs principaux incluent Felix Lange, Michael Ratz, Jan-Niklas Dohrke, et al. L’article a été publié en avril 2025 dans la revue Nature Cell Biology, sous le titre “In situ architecture of the human prohibitin complex”.
Démarche de recherche
1. Localisation et régulation de l’expression des protéines
L’étude a d’abord utilisé la technologie d’édition génétique CRISPR-Cas9 pour générer des lignées cellulaires U2OS humaines exprimant de manière endogène PHB1 et PHB2 marquées par fluorescence (PHB1-DK et PHB2-DK). Grâce à la microscopie à fluorescence et à la microscopie électronique à immunomarquage à l’or (immunogold EM), les chercheurs ont découvert que PHB1 et PHB2 sont principalement localisées sur la membrane des crêtes mitochondriales (crista membrane, CM), avec une concentration 3 à 5 fois plus élevée que dans la membrane interne de bordure (inner boundary membrane, IBM). De plus, des expériences de récupération de fluorescence après photoblanchiment (FRAP) ont montré que PHB1 et PHB2 ont une faible mobilité sur la membrane des crêtes, ce qui conforte leur localisation stable dans cette région.
2. Analyse quantitative et estimation de l’abondance des complexes
En utilisant le Western blot quantitatif, les chercheurs ont déterminé que chaque cellule U2OS contient environ 3,38 × 10^6 molécules de PHB1 et 3,46 × 10^6 molécules de PHB2. Sur la base de ces données, ils ont estimé que chaque cellule U2OS pourrait contenir environ 2,14 × 10^5 complexes annulaires de prohibitines, dont environ 1,7 × 10^5 seraient localisés sur la membrane des crêtes. Des calculs supplémentaires ont révélé que chaque membrane de crête abrite en moyenne 15 complexes annulaires de prohibitines, couvrant 0,7 à 1,4 % de la surface de la membrane des crêtes.
3. Tomographie cryo-électronique (cryo-ET) et moyenne de sous-tomogrammes
Pour observer directement la structure du complexe prohibitin, les chercheurs ont utilisé la tomographie cryo-électronique (cryo-ET) pour imager les cellules U2OS. Des coupes congelées d’environ 150 nm d’épaisseur ont été préparées à l’aide de la technique de faisceau d’ions focalisés (FIB), et les données ont été acquises sur un microscope Titan Krios G2. Les chercheurs ont observé de nombreuses structures convexes d’environ 20 nm de diamètre sur la membrane des crêtes, qui apparaissent en forme de cloche en vue latérale, avec une hauteur d’environ 9 nm. Grâce à la technique de moyenne de sous-tomogrammes (subtomogram averaging), ils ont obtenu la structure tridimensionnelle du complexe prohibitin, avec une résolution de 16,3 Å. Cette structure montre que le complexe prohibitin a une forme de cloche, composée de 11 molécules alternées de PHB1 et PHB2.
4. Modélisation moléculaire et simulations dynamiques
Sur la base des structures de PHB1 et PHB2 prédites par AlphaFold2, les chercheurs ont ajusté manuellement 11 monomères dans la carte de densité cryo-EM pour construire un modèle moléculaire du complexe prohibitin. Ce modèle montre que PHB1 et PHB2 sont ancrées dans la bicouche lipidique par leurs domaines transmembranaires N-terminaux, tandis que leurs domaines hélicoïdaux C-terminaux stabilisent le sommet du complexe par des interactions électrostatiques. De plus, des simulations de dynamique moléculaire (MD) ont validé la stabilité du modèle, révélant que les domaines N-terminaux sont plus dynamiques, tandis que les domaines C-terminaux sont plus stables.
5. Validation par spectrométrie de masse à croisement (XL-MS)
Pour valider davantage le modèle moléculaire, les chercheurs ont analysé des données de spectrométrie de masse à croisement (XL-MS) provenant de souris et d’humains. Les résultats montrent que la plupart des paires de peptides croisés ont des distances Cα-Cα inférieures à 30 Å dans le modèle, soutenant les interactions entre les domaines hélicoïdaux C-terminaux. En outre, les peptides auto-croisés (self-links) ne satisfont les contraintes de distance qu’aux interfaces PHB1-PHB1 ou PHB2-PHB2, ce qui conforte la structure du complexe composé de 11 molécules alternées de PHB1 et PHB2.
Résultats de l’étude
- Structure en cloche du complexe prohibitin : L’étude a révélé pour la première fois la structure en cloche du complexe prohibitin humain, composé de 11 molécules alternées de PHB1 et PHB2, intégrées dans la membrane interne mitochondriale.
- Abondance et distribution des complexes : Chaque cellule U2OS contient environ 2,14 × 10^5 complexes de prohibitines, dont environ 1,7 × 10^5 sont localisés sur la membrane des crêtes, avec en moyenne 15 complexes par crête.
- Stabilité du modèle moléculaire : Les simulations de dynamique moléculaire et les données de spectrométrie de masse à croisement ont validé la stabilité et la précision du modèle du complexe prohibitin.
Signification de l’étude
- Valeur scientifique : Cette étude révèle pour la première fois la structure du complexe prohibitin humain à l’échelle atomique, fournissant une base structurelle pour comprendre son rôle dans le maintien de l’intégrité et de l’organisation spatiale de la membrane interne mitochondriale.
- Valeur applicative : Les informations structurelles sur le complexe prohibitin pourraient ouvrir de nouvelles perspectives pour le développement de stratégies thérapeutiques ciblant les dysfonctionnements mitochondriaux, comme les maladies neurodégénératives et le cancer.
- Avancée technologique : L’étude combine la tomographie cryo-électronique, la moyenne de sous-tomogrammes, les simulations de dynamique moléculaire et la spectrométrie de masse à croisement, démontrant la puissance des approches multidisciplinaires en biologie structurale.
Points forts de l’étude
- Résolution de la structure in situ : L’étude a résolu pour la première fois la structure du complexe prohibitin dans son environnement natif, évitant les distorsions potentielles liées à la purification in vitro.
- Intégration de multiples technologies : L’étude a réussi à intégrer la cryo-microscopie électronique, la modélisation moléculaire et la spectrométrie de masse à croisement, offrant un nouveau paradigme pour l’étude des complexes protéiques complexes.
- Conservation interespèces : En comparant les données de spectrométrie de masse à croisement de souris et d’humains, l’étude a mis en évidence la conservation structurelle du complexe prohibitin à travers les espèces, soulignant son importance fonctionnelle.
Autres informations pertinentes
L’étude fournit également des données détaillées sur la structure de la membrane des crêtes mitochondriales, incluant la longueur moyenne, l’espacement et la surface des crêtes, offrant des références précieuses pour les futures recherches sur la relation entre la structure et la fonction mitochondriales. De plus, les techniques de cryo-microscopie électronique à haute résolution et les simulations de dynamique moléculaire utilisées dans cette étude servent de modèles pour l’analyse d’autres complexes protéiques.