La signalisation de l'inflammasome dans les astrocytes module la plasticité hippocampique

Contexte académique

Ces dernières années, le rôle des voies de signalisation immunitaire dans l’homéostasie du système nerveux a progressivement attiré l’attention. Selon la vision traditionnelle, l’inflammasome, un complexe central de l’immunité innée, ne s’active qu’en cas d’infection ou de lésion tissulaire, participant aux processus pathologiques via la pyroptose médiée par la caspase-1 et la libération de cytokines pro-inflammatoires (comme l’IL-1β et l’IL-18). Cependant, de plus en plus de preuves indiquent que les molécules immunitaires jouent également un rôle important dans les fonctions physiologiques du cerveau sain. Par exemple, l’alarmine IL-33, bien qu’elle ait un effet pro-inflammatoire dans les contextes inflammatoires, s’est avérée cruciale pour la plasticité synaptique hippocampique.

Cette étude vise à résoudre les questions clés suivantes :
1. L’inflammasome est-il activé physiologiquement dans le cerveau adulte sain ?
2. Comment la signalisation de l’inflammasome dans les astrocytes influence-t-elle la fonction hippocampique ?
3. Ses effecteurs en aval (comme l’IL-18 et l’IL-33) participent-ils à la régulation de l’activité neuronale ?

Source de l’article

Cette recherche a été dirigée par l’équipe de Kristine E. Zengeler et John R. Lukens de l’Université de Virginie (États-Unis), en collaboration avec des experts multidisciplinaires en anesthésiologie, neurosciences et néphrologie. L’article a été publié le 10 juin 2025 dans la revue prestigieuse Immunity (DOI : 10.1016/j.immuni.2025.04.007).


Méthodologie et résultats

1. Régulation dynamique de l’inflammasome dans le cerveau sain

Conception expérimentale :
- Utilisation de souris rapportrices ASC-Citrine (marquage fluorescent de la formation du complexe inflammasome).
- Imagerie cérébrale complète et analyse par Western blot des capteurs de l’inflammasome (NLRP1/3, AIM2) et des effecteurs (caspase-1, IL-18) dans l’hippocampe, le cervelet et le cortex.
- Culture in vitro de cellules primaires du système nerveux central (SNC), stimulation par CaCl₂ ou étoposide, observation des changements de fluorescence ASC.

Découvertes clés :
- Distribution régionale : La densité des points ASC (ASC speck) était la plus élevée dans l’hippocampe et le cervelet, avec une forte enrichissement des formes activées de la caspase-1 et de l’IL-18 (Figures 1a-e).
- Régulation négative par l’activité neuronale : L’enrichissement environnemental (EE) ou l’entraînement au labyrinthe de Morris (MWM) réduisait le nombre de points ASC dans l’hippocampe (Figures 1i-o), tandis que le vieillissement l’augmentait (Figures 1k-l).
- Régulation réversible : L’activité neuronale induite par CaCl₂ inhibait de manière réversible l’assemblage de l’inflammasome (Figures 1f-h).

Signification : Première démonstration que l’inflammasome est régulé dynamiquement par l’activité physiologique dans le cerveau sain.


2. Impact de la perte de fonction de l’inflammasome sur la plasticité hippocampique

Conception expérimentale :
- Inhibition pharmacologique : Traitement des souris avec l’inhibiteur de caspase-1 VX765, marquage des neurones activés par TRAP2;tdTomato, analyse de la densité des épines dendritiques avec Thy1-YFP.
- Modèle génétique : Construction de souris avec délétion spécifique de la caspase-1 dans les astrocytes (Casp1δast).

Découvertes clés :
- Augmentation des protéines synaptiques : Dans l’hippocampe des souris traitées avec VX765 ou Casp1δast, on observait une régulation positive de la synaptophysine, de vGLUT1 et de GABAARα1 (Figures 2i-n, 3c-f).
- Affaiblissement de l’activité neuronale : Réduction des neurones c-Fos+, diminution de la fréquence de décharge intrinsèque des neurones pyramidaux CA1 (Figures 3k-n).
- Changements transcriptomiques : Le séquençage d’ARN monocellulaire (scRNA-seq) a révélé une régulation positive des gènes synaptiques (comme Snap25) et de la myéline (comme Mbp) dans l’hippocampe des souris Casp1δast (Figures 4a-c).

Signification : La caspase-1 des astrocytes maintient l’homéostasie hippocampique en régulant les protéines synaptiques et l’activité neuronale.


3. Rôle central de l’axe IL-18/IL-33

Conception expérimentale :
- Localisation cellulaire : Validation de l’expression de l’IL-33 dans les astrocytes (SOX9+) et les neurones (MAP2+) par immunofluorescence et tri MACS.
- Intervention exogène : Traitement de tranches d’hippocampe ex vivo avec de l’IL-18 ou des inducteurs d’activité neuronale (forskoline, glutamate), mesure de la libération d’IL-33.

Découvertes clés :
- Régulation bidirectionnelle : L’IL-18 inhibait la libération d’IL-33 par l’hippocampe, tandis que l’activité neuronale (comme la forskoline) réduisait les niveaux d’IL-18 (Figures 5q-u).
- Phénotype comportemental : Les souris Casp1δast présentaient une altération de la mémoire à long terme due à l’augmentation de l’IL-33 (Figures 4e-g), tandis que la délétion spécifique de l’IL-33 dans les astrocytes (Il33δast) augmentait les puncta synaptiques et les neurones c-Fos+ (Figures 5h-k).

Signification : L’inflammasome régule la plasticité synaptique et la persistance de la mémoire via l’axe IL-18/IL-33.


4. Rôle pathologique de l’inflammasome dans l’épilepsie

Conception expérimentale :
- Modèle d’épilepsie : Induction de crises épileptiques aiguës chez les souris par l’acide kaïnique (KA), évaluation de l’impact de la délétion globale ou spécifique de la caspase-1 sur la gravité des crises.

Découvertes clés :
- Protection spécifique aux astrocytes : Les souris Casp1δast présentaient une durée de crise réduite et une mortalité plus faible (Figures 6e-h), tandis que la délétion spécifique dans les neurones ou les microglies n’avait pas cet effet (Figures S6r-y).

Signification : Cibler l’inflammasome des astrocytes pourrait offrir une nouvelle stratégie thérapeutique contre l’épilepsie.


Valeur et points forts de l’étude

  1. Valeur scientifique :

    • Révèle le rôle physiologique de l’inflammasome dans le cerveau sain, dépassant sa perception traditionnelle de “rôle pathologique”.
    • Élucide les mécanismes moléculaires par lesquels les astrocytes régulent l’activité neuronale via l’axe caspase-1/IL-18/IL-33.
  2. Potentiel d’application :

    • Offre de nouvelles cibles thérapeutiques pour des maladies neurologiques comme l’épilepsie ou la maladie d’Alzheimer (par exemple, cibler la caspase-1 des astrocytes).
  3. Méthodes innovantes :

    • Combine un système rapporteur ASC-Citrine, le transcriptome monocellulaire et des modèles de délétion spécifique, pour une analyse multidimensionnelle de la fonction de l’inflammasome.
  4. Conclusion clé :
    > “La signalisation de l’inflammasome dans les astrocytes est un régulateur bidirectionnel de la plasticité hippocampique : une activation modérée maintient l’homéostasie, tandis qu’une activation excessive favorise l’hyperexcitabilité pathologique.”


Réflexion complémentaire : Des travaux futurs devront explorer la contribution des différents capteurs de l’inflammasome (comme NLRP3 vs. AIM2) et leur rôle spatio-temporel spécifique dans les maladies neurodégénératives.