Maladie d'Alzheimer et dégénérescence maculaire liée à l'âge : mécanismes immunitaires communs et distincts

Contexte académique

La maladie d’Alzheimer (Alzheimer’s disease, AD) et la dégénérescence maculaire liée à l’âge (age-related macular degeneration, AMD) sont respectivement les principales causes de troubles cognitifs et de perte de vision chez les personnes âgées dans le monde. Bien qu’elles affectent des organes différents (cerveau et rétine), des recherches récentes ont révélé des caractéristiques pathologiques similaires, telles que les dépôts de bêta-amyloïde (Aβ), l’activation du système du complément et l’inflammation chronique. Cependant, les études sur ces deux maladies ont longtemps été menées indépendamment, sans intégration interdisciplinaire. Cet article vise à comparer systématiquement les mécanismes immunitaires de l’AD et de l’AMD, à explorer des stratégies thérapeutiques croisées et à révéler comment la spécificité tissulaire (cerveau vs rétine) peut conduire à des résultats différenciés pour des voies immunitaires similaires.

Source de l’article

Cet article a été rédigé par l’équipe d’Oleg Butovsky et de Neta Rosenzweig du Brigham and Women’s Hospital de la Harvard Medical School, et publié en mai 2025 dans la revue Immunity (DOI : 10.1016/j.immuni.2025.04.013). L’équipe est affiliée à l’Ann Romney Center for Neurologic Diseases et au Gene Lay Institute of Immunology and Inflammation, et se concentre sur la recherche des mécanismes immunitaires dans les maladies neurodégénératives.


Principales idées et arguments

1. Caractéristiques pathologiques partagées : dépôts d’Aβ et activation du complément

Idée : Les plaques amyloïdes de l’AD et les drusen de l’AMD contiennent tous deux de l’Aβ, de l’apolipoprotéine E (ApoE) et des protéines du complément (comme C3 et C5b9), suggérant un dysfonctionnement commun de la clairance immunitaire.
Arguments :
- Preuves pour l’AD : Des dépôts d’Aβ ont été détectés dans la rétine de patients atteints d’AD, transportés via la voie glymphatique cerveau-rétine (Cao et al., 2024).
- Preuves pour l’AMD : La surexpression d’Aβ médiée par AAV induit des dépôts similaires aux drusen dans la rétine de souris (Prasad et al., 2017).
- Système du complément : Dans l’AD, C1q médie l’élagage synaptique (Hong et al., 2016), tandis que dans l’AMD, des variants du gène CFH (comme Y402H) entraînent une activation excessive du complément (Armento et al., 2021).

2. Double rôle du gène ApoE

Idée : L’allèle ApoE ε4 augmente le risque d’AD mais réduit celui d’AMD, mettant en évidence une régulation immunitaire spécifique aux tissus.
Arguments :
- Mécanisme dans l’AD : ApoE4 inhibe le phénotype neurodégénératif des microglies (MGND), entravant la clairance de l’Aβ (Butovsky et al., 2025).
- Mécanisme dans l’AMD : ApoE4 réduit l’accumulation de phagocytes mononucléés sous-rétiniens, protégeant l’épithélium pigmentaire rétinien (RPE) de la dégénérescence (Rasmussen et al., 2023).

3. Rôles différenciés des microglies et des macrophages

Idée : Le phénotype MGND protège les neurones dans l’AD mais pourrait exacerber l’inflammation dans l’AMD.
Arguments :
- Données pour l’AD : L’activation de la voie SYK-CLEC7A favorise la phagocytose de l’Aβ par les microglies (Dejanovic et al., 2022).
- Données pour l’AMD : Les microglies Galectin-3+ limitent l’apoptose des photorécepteurs dans les zones d’atrophie rétinienne (Yu et al., 2024), mais l’infiltration de macrophages périphériques favorise la néovascularisation choroïdienne (CNV) (Ambati et al., 2013).

4. Influence croisée des neutrophiles et des cellules T

Idée : Les pièges extracellulaires de neutrophiles (NETs) et l’IL-17 contribuent à la progression pathologique dans les deux maladies.
Arguments :
- Modèle d’AD : Les dépôts de NETs dans le cerveau de souris 5xFAD sont corrélés au déclin cognitif (Butovsky et al., 2025).
- Modèle d’AMD : L’interaction neutrophiles-microglies dans la rétine de souris Cryba1 knockout accélère la dégénérescence (Shi et al., 2020).

5. Potentiel d’application croisée des stratégies thérapeutiques

Idée : Les thérapies ciblant l’Aβ dans l’AD (comme le Lecanemab) pourraient être adaptées à l’AMD, tandis que les thérapies anti-VEGF de l’AMD pourraient moduler les anomalies vasculaires de l’AD.
Arguments :
- Essais précliniques : Les anticorps anti-Aβ réduisent les drusen dans la rétine de souris APOE4 (Ding et al., 2011).
- Nouvelles thérapies : L’inhalation de xénon active les microglies et atténue la pathologie de l’AD (brevet du laboratoire Butovsky).


Importance et valeur

  1. Innovation théorique : Première intégration systématique des mécanismes immunitaires de l’AD et de l’AMD, proposant l’hypothèse d’un “microenvironnement immunitaire spécifique aux tissus déterminant l’issue de la maladie”.
  2. Translation clinique : Fournit une base pour la réutilisation de médicaments (comme les thérapies anti-Aβ pour l’AMD) et encourage la conception d’essais cliniques interdisciplinaires.
  3. Avancée technologique : L’imagerie rétinienne pilotée par l’IA (comme De Fauw et al., 2018) pourrait devenir un outil de diagnostic précoce de l’AD.

Points forts

  • Paradoxe génétique : Révèle les effets opposés d’ApoE ε4 dans le cerveau et la rétine.
  • Ciblage cellulaire spécifique : Souligne l’effet à double tranchant des microglies MGND.
  • Cadre thérapeutique trans-maladies : Propose l’application potentielle d’inhibiteurs du complément (comme le Pegcetacoplan) dans l’AD.

Autres informations pertinentes

  • Innovation diagnostique : L’imagerie rétinienne de l’Aβ (Koronyo et al., 2017) est en phase d’essais cliniques.
  • Lien avec le microbiome : La dysbiose intestinale pourrait exacerber l’AD et l’AMD via l’IL-17 (Ruan et al., 2021).