Révéler une nouvelle caractéristique du cancer par l'évaluation de l'infiltration neuronale dans le cancer

Le cancer, en tant que défi majeur de santé publique mondiale, possède des mécanismes de survenue et de développement complexes. Depuis longtemps, des processus comme l’immunité, l’inflammation et l’angiogenèse du microenvironnement tumoral (tumor microenvironment, TME) ont attiré une large attention, étant considérés comme des déterminants importants du comportement biologique des tumeurs. Ces dernières années, les neurosciences du cancer (cancer neuroscience) sont devenues un domaine interdisciplinaire émergent, révélant que le système nerveux non seulement régule le développement tumoral via des médiateurs et neurotransmetteurs, mais influence également la croissance, la métastase et l’invasion tumorales à travers des interactions directes ou indirectes entre neurones et cellules tumorales. Bien que des phénomènes liés au système nerveux tels que l’“invasion péritumorale (perineural invasion, PNI)” aient attiré l’attention, l’évaluation systématique et la quantification de “l’infiltration nerveuse” dans le cancer, ses caractéristiques moléculaires et sa signification clinique en restent à une phase précoce. Ce compte rendu repose sur cette problématique et ce contexte scientifique, cherchant à explorer en profondeur si les facteurs nerveux peuvent constituer un nouveau marqueur phare (cancer hallmark) du cancer, et à offrir de nouvelles perspectives pour le traitement et la stratification précise des cancers.

Source de l’article et présentation des auteurs

L’article, intitulé « Unveiling a novel cancer hallmark by evaluation of neural infiltration in cancer », a été élaboré par une équipe principalement issue de l’Université Médicale de Harbin (Harbin Medical University), rassemblant des départements de sciences de la vie, bioinformatique, pharmacologie et du « State Key Laboratory of Frigid Zone Cardiovascular Diseases (SKLFZCD) » en Chine. Les auteurs correspondants sont Yunyan Gu, Haihai Liang et Yang Hui. L’article a été publié en 2025 dans la revue internationale de renom Briefings in Bioinformatics (volume 26, 2025), en libre accès. L’équipe intègre des expertises en biologie systémique, biologie moléculaire, pharmacologie et médecine clinique.

1. Contexte de l’étude et problématique

1. Émergence des neurosciences du cancer

Les interactions entre système nerveux et cellules cancéreuses sont progressivement révélées, englobant neurotransmetteurs, neuropeptides (tels que BDNF, NLgn3), exosomes, structures synaptiques, etc. La littérature montre que les neurones et leurs facteurs libérés peuvent directement stimuler la croissance, l’invasion et la métastase tumorales, participer aux mécanismes de résistance et même influencer la réponse immunothérapeutique.

2. Limites et enjeux de l’invasion nerveuse périphérique

Bien que la PNI soit considérée comme un signe de progression maligne et de mauvais pronostic, notamment dans les cancers du pancréas et de la tête et du cou, la détection de la PNI par coloration HE classique reste limitée ; de plus, chez de nombreux patients sans PNI avérée, les facteurs neuraux impactent tout de même la survie. Ainsi, la PNI seule ne peut refléter le panorama des influences neuronales dans divers cancers.

3. Limites des recherches actuelles et besoins scientifiques

Il manque actuellement de travaux systématiques évaluant l’infiltration nerveuse dans le cancer à l’échelle globale. La manière d’extraire les signaux nerveux à partir de vastes jeux de données multi-omiques, d’établir des indices quantitatifs et d’explorer leurs liens avec l’agressivité tumorale, la classification moléculaire, le microenvironnement immunitaire voire la sensibilité aux médicaments, constitue le point d’innovation de cette étude.

2. Design général de l’étude et schéma technique

L’équipe a posé l’hypothèse que « l’infiltration nerveuse est un nouveau hallmark du cancer », menant une analyse multi-omique, multi-cancer et multi-niveaux, enrichie de séquençage unicellulaire, transcriptomique spatiale, et de co-cultures in vitro. Le plan d’étude comprend :

  1. Intégration de jeux de gènes neuronaux et identification de gènes différentiellement exprimés associés au cancer
  2. Développement d’un indicateur quantitatif d’infiltration nerveuse (c-neural score) et son application multi-modale
  3. Analyses pancancéreuses multi-omiques/multi-cohortes croisant données cliniques, pronostic, stade et grade
  4. Analyse de l’hétérogénéité du TME à l’échelle unicellulaire et caractérisation des sous-populations
  5. Analyses ciblées sur le cancer du pancréas et de l’adénocarcinome pulmonaire (spatial, sous-types, interactions cellulaires)
  6. Validation expérimentale in vitro des molécules pivots, tel l’effet des cellules de Schwann sur les cellules tumorales
  7. Corrélation entre c-neural score, réponse immunothérapeutique et prédiction de sensibilité pharmaceutique

Ci-dessous, le détail de chaque étape.

1. Intégration de jeux de gènes neuronaux et identification différentielle

Le travail débute par la compilation manuelle de 1889 gènes neuronaux issus de quatre bases de données et de la littérature. Pour 10 types de cancers solides (40 datasets RNA-seq bulk appariés), un test de Wilcoxon unilatéral distingue les gènes neuronaux différemment exprimés (DEG-NS), formant la base pour la suite de l’analyse.

2. Élaboration du c-neural score et adaptation multi-omique

Les auteurs proposent un indicateur inédit, le « c-neural score » (score d’infiltration neuronale associée au cancer). - Au niveau bulk RNA-seq, la méthode GSVA (Gene Set Variation Analysis) calcule le score d’enrichissement des DEG-NS, puis la différence entre scores up/down. - Au niveau unicellulaire (scRNA-seq), l’algorithme Ucell quantifie le c-neural score au niveau cellule, permettant une évaluation fine du signal neuronal par cellule. Cet indicateur générique est compatible avec de multiples plateformes, permettant comparaisons quantitatives inter-cohortes et inter-échantillons.

3. Analyses pancancéreuses étendues couplant paramètres cliniques

S’appuyant sur TCGA et d’autres bases publiques, les auteurs corrèlent le c-neural score avec la PNI, stade/grade tumoral, récidive, métastase, volume tumoral, survie et autres données cliniques.

4. Hétérogénéité cellulaire à résolution unicellulaire

L’étude exploite 55 datasets scRNA-seq couvrant 10 cancers solides, et 28 types cellulaires principaux. L’intégration (Seurat, Harmony) et le score Ucell permettent de quantifier le c-neural score cellule par cellule. Des analyses de proportion, distribution et enrichissement des sous-groupes cellulaires haut/faible score dévoilent l’hétérogénéité du signal nerveux au sein du TME.

5. Exploration détaillée sur modèles pancréatique et pulmonaire

  • Pour l’adénocarcinome canalaire pancréatique (PDAC), analyse poussée des régions riches en cellules de Schwann, transcriptomique spatiale, sous-populations épithéliales, avec inférence CNV (CopyKat), stemness (Cytotrace) et EMT (AUCell), dessinant le portrait des cellules épithéliales à score élevé (epi-highCNS).
  • Adénocarcinome pulmonaire (LUAD) : intégration de cartographie unicellulaire pour étudier les communications entre sous-populations tumorales haut score et cellules T CD8+, les liens avec différenciation et enrichissement métabolique.

6. Analyses d’interactions cellulaires et de réseaux protéiques

Grâce à CellChat et Pathway Commons, les auteurs décryptent les axes de signalisation, les paires ligand-récepteur et les réseaux d’interactions protéiques (PPI) — en particulier entre epi-highCNS et cellules de Schwann (FN1, collagène, etc.).

7. Validation biologique fonctionnelle in vitro

Des co-cultures transwell PanC-1 (pancréas) ou A549 (poumon) avec cellules de Schwann, associées à un knockdown de VDAC1 par siRNA, évaluent la prolifération, migration, invasion et EMT des cellules tumorales. Des milieux conditionnés permettent de distinguer effets de contact direct versus facteurs sécrétés.

8. c-neural score, immunothérapie et prédiction des médicaments

Dans des cohortes traitées par immunothérapie, la différence du c-neural score entre répondeurs et non-répondeurs est évaluée. En parallèle, l’algorithme Oncopredict et des bases de données de sensibilité médicamenteuse sont exploités pour prédire la chimiotolérance ou la sensibilité aux thérapies ciblées selon le niveau d’infiltration nerveuse.


3. Résultats majeurs détaillés

1. Le c-neural score reflète fortement l’agressivité tumorale

Dans les dix cancers examinés, un c-neural score élevé est nettement associé à la PNI positive (ex : carcinome épidermoïde tête-cou), à des stades/grades élevés, à la récidive, à la métastase et à un pronostic défavorable. Les patients à haut score présentent une pureté tumorale, une teneur et un volume cellulaire accrus, suggérant que le signal nerveux constitue un nouveau marqueur de malignité.

2. Hétérogénéité du signal nerveux dans le TME et caractéristiques epi-highCNS

À l’échelle unicellulaire, les analyses montrent qu’au sein de la plupart des cancers, les cellules épithéliales tumorales sont fortement enrichies dans les sous-groupes à haut c-neural score. PDAC : les epi-highCNS présentent plus de CNV, de stemness (faible différenciation), une forte oxidation phosphorylative (OXPHOS) et activité EMT. Les analyses spatiales confirment que les régions à forte densité de cellules de Schwann et à c-neural score élevé coïncident avec de hauts niveaux de PNI.

3. Les cellules de Schwann facilitent la progression tumorale via l’axe FN1 et VDAC1

Les analyses d’interaction montrent une communication étroite entre epi-highCNS et cellules de Schwann via la signalisation FN1 (fibronectine), des paires ligand-récepteur collagène, formant un réseau protéique enrichi dans les interactions matrice extracellulaire—récepteur. Les patients à co-expression élevée de certains gènes pairs (APOD_VDAC1, etc.) ont une survie amoindrie. In vitro, les cellules de Schwann accélèrent la prolifération, migration et EMT des cellules tumorales via une forte expression de VDAC1, principalement exprimé dans les épithéliums et augmenté chez les patients PNI+.

4. Les cellules tumorales à haut score neural facilitent l’immunité antitumorale ; le c-neural score prédit la réponse immunothérapeutique

Les échantillons de patients traités (ICI : anti-PD-1/PD-L1) révèlent que les répondeurs présentent un c-neural score nettement supérieur. Les ensembles multi-cohortes (bulk et single-cell) confirment l’association d’un score élevé à une abondance accrue de cellules T CD8+, de cellules T CD4 mémoire activées, de macrophages M1, etc. Les marqueurs d’immunocheckpoint (PD-L1, gènes HLA) sont positivement corrélés au score. Le c-neural score surpasse de nombreux biomarqueurs connus pour la prédiction de la réponse immunothérapeutique.

5. Un nouveau marqueur pour guider le choix personnalisé des médicaments

L’exploration des bases de données de sensibilité et de modèles Oncopredict montre des corrélations fortes entre réponse à différents médicaments et c-neural score : axitinib, olaparib pour les hauts scores ; afatinib, trametinib associés à de plus faibles IC50 dans les lignes cellulaires de mélanome à haut score, indiquant un bénéfice thérapeutique potentiel particulier pour ces patients.


4. Conclusions, significations scientifiques et applications potentielles

1. Signification scientifique

  • L’infiltration nerveuse présente désormais les caractéristiques d’un “nouveau hallmark du cancer” : sa quantification permet une prédiction inter-cancer de la malignité, des métastases, du pronostic et de la réponse immunothérapeutique, enrichissant la stratification moléculaire et la médecine de précision.
  • Le signal neuronal unicellulaire révèle la diversité du TME et identifie de nouveaux sous-types (epi-highCNS) : source innovante pour l’étude de l’hétérogénéité tumorale et des mécanismes de cancérogenèse.
  • Nouvel axe Schwann-épithélium-VDAC1 : dévoile un nouveau mécanisme d’interaction nerveuse-tumorale, exemplarité pour la recherche histologique et fonctionnelle.
  • Couplage du signal nerveux et du microenvironnement immunitaire : nouvelle fenêtre pour comprendre l’échappement immunitaire et les bénéfices thérapeutiques.

2. Perspectives d’application

  • Diagnostic précoce, classification et évaluation pronostique  : l’évolutivité du c-neural score le rend prometteur pour la stratification clinique.
  • Prédiction de la sensibilité aux immunothérapies et thérapies ciblées  : fondement pour des plans thérapeutiques individualisés et pour augmenter l’efficacité des traitements.
  • Développement de nouveaux médicaments/cibles (VDAC1, voie FN1, etc.).
  • Modèle d’intégration multi-omique spatiale et des validations fonctionnelles  : propulse l’intégration et la traduction systématique des signaux complexes du TME.

5. Points forts et innovations de l’étude

  • Premier score systématique quantitatif pour l’évaluation de l’infiltration neuronale pancancéreuse  ;
  • Résolution unicellulaire, analyse multi-niveaux et multi-échantillons des signaux neuronaux et de leur hétérogénéité  ;
  • Le c-neural score possède de multiples valeurs prédictives : évolution, réponse immunothérapeutique, médicament ;
  • Démonstration structurelle et fonctionnelle de l’axe Schwann-VDAC1 cancérigène ;
  • Modèle d’intégration multi-omique, spatiale et validation fonctionnelle in vitro.

6. Autres informations utiles

  • Toutes les données de l’étude sont issues de bases publiques ; le code et les paramètres du score sont théoriquement reproductibles et adaptables dans d’autres analyses.
  • Étude éthique : toutes les données patient sont conformes et incluses avec consentement.
  • L’article propose des recommandations pour des travaux futurs : multi-omique spatiale, validations in vivo, investigations sur des réseaux de communication cellulaire plus complexes et encourage à élargir l’interdisciplinarité dans l’étude croisée nerveuse-tumorale-immunitaire.

Résumé

Cette étude synthétise les mécanismes d’interaction nerf-tumeur et démontre, aux niveaux moléculaire, cellulaire et clinique, que l’infiltration nerveuse joue un rôle central dans la survenue, la progression et la réponse thérapeutique du cancer. Le système innovant c-neural score et sa stratégie expérimentale multimodale ouvrent de nouvelles perspectives en recherche fondamentale et clinique oncologique, constituant un moteur important pour la médecine de précision anticancéreuse et la recherche interdisciplinaire future.