Modèle de prédiction des propriétés de l'espace chimique des matériaux pérovskites par synthèse à haut débit et réseaux de neurones artificiels
Contexte académique
Les matériaux à structure pérovskite attirent beaucoup d’attention en raison de leurs applications dans les cellules solaires et autres dispositifs électroniques. Leurs propriétés optiques (telles que le gap d’énergie et les vibrations de réseau) peuvent être modulées de manière flexible en ajustant leur composition chimique. Bien que la prédiction des propriétés optiques à partir de la structure des pérovskites soit déjà bien développée, il reste difficile de prédire la composition chimique à partir de données optiques. La résolution de ce problème est cruciale pour accélérer le développement et la production des matériaux à pérovskite, notamment dans un contexte industriel à grande échelle, où le criblage rapide et la validation des compositions chimiques de nouveaux matériaux améliorent considérablement l’efficacité de production.
Pour relever ce défi, les chercheurs ont proposé une méthode innovante combinant synthèse à haut débit, techniques spectroscopiques à haute résolution et apprentissage automatique (notamment les réseaux de neurones artificiels, ANN). Cette méthode leur a permis non seulement de synthétiser efficacement une grande variété de compositions chimiques de matériaux à pérovskite, mais aussi de prédire leur composition chimique de façon précise à partir de données optiques. Cette étude offre ainsi un nouvel outil pour le criblage rapide et l’optimisation des matériaux à pérovskite.
Source de l’article
Cette étude a été réalisée par Md. Ataur Rahman, Md. Shahjahan, Yaqing Zhang, Rihan Wu et Elad Harel de la Michigan State University. Elad Harel est l’auteur correspondant, responsable de la conception et de la supervision du projet. L’article a été publié le 10 avril 2025 dans la revue Chem, sous le titre “Chemical Space-Property Predictor Model of Perovskite Materials by High-Throughput Synthesis and Artificial Neural Networks”.
Démarche de la recherche
1. Synthèse à haut débit de matériaux à pérovskite
La première étape de l’étude consiste à synthétiser une série de monocristaux de pérovskite de compositions chimiques variées. L’équipe de recherche a utilisé une méthode de synthèse à haut débit, s’appuyant sur un robot de manipulation des liquides (Opentrons OT-2) pour mélanger les solutions précurseurs (telles que MAPbCl₃, CsPbBr₃ et CsPbI₃) dans une plaque 96 puits, et utilisant chauffage et agitation pour obtenir un mélange homogène. Ensuite, ces solutions sont transformées en microgouttes et déposées sur des lamelles pour former des monocristaux.
Afin d’assurer la précision et la reproductibilité des expériences, tous les travaux ont été réalisés dans un laboratoire à température et humidité contrôlées. L’équipe de recherche a également examiné l’influence de différents solvants (tels que DMSO, DMF et GBL) sur la taille et la forme des cristaux, constatant que le solvant GBL est particulièrement efficace pour améliorer la dimension et la morphologie des monocristaux de pérovskite bromée.
2. Acquisition et analyse des données spectroscopiques
Les monocristaux de pérovskite ainsi obtenus ont été soumis à des analyses spectroscopiques, principalement la spectroscopie UV-visible (UV-Vis), la photoluminescence (PL) et la spectroscopie Raman térahertz (THz Raman). Ces données spectroscopiques servent de caractéristiques d’entrée pour l’entraînement du réseau de neurones artificiel en vue de prédire la composition chimique des pérovskites.
Spectroscopie UV-visible : L’équipe a enregistré les spectres d’absorption de tous les échantillons de pérovskite et analysé les variations de leur gap optique. À mesure que la composition en halogènes évolue de chlore vers le brome puis l’iode, la position du pic d’absorption se déplace progressivement de la région du bleu (environ 400 nm) vers la région du rouge (environ 700 nm).
Spectroscopie de photoluminescence (PL) : Les spectres et images PL montrent que la couleur d’émission des monocristaux de pérovskite passe du bleu au vert puis au rouge en fonction de la variation de la composition en halogènes. Cependant, à cause du phénomène de ségrégation de phase dans les pérovskites à halogènes mixtes, la reproductibilité des données PL est réduite, limitant leur utilisation dans le modèle.
Spectroscopie Raman THz : Les spectres Raman THz permettent de sonder les modes vibrationnels de basse fréquence du réseau cristallin des pérovskites, tels que les étirements symétriques et les modes de flexion des liaisons Pb-X. Les variations de ces modes sont étroitement liées à la composition en halogènes, ce qui confère aux données Raman THz d’excellentes performances pour la prédiction de la composition chimique.
3. Construction et entraînement du modèle de réseau de neurones artificiels
L’équipe de recherche a développé un modèle prédictif basé sur ANN, capable de gérer simultanément plusieurs variables d’entrée et de sortie. Les entrées du modèle incluent les données UV-Vis, PL et Raman THz, tandis que les sorties sont les valeurs de composition chimique (x et y) des halogènes dans la pérovskite.
Pour entraîner le modèle, deux algorithmes ont été utilisés : Levenberg-Marquardt et la régularisation bayésienne, les données étant partagées en ensembles d’entraînement (70%), de validation (15%) et de test (15%). Les résultats montrent que les données Raman THz sont les plus performantes pour la prédiction de la composition chimique, avec un coefficient de régression atteignant 0,851. Lorsque les données UV-Vis sont combinées, la précision du modèle s’élève à 92%.
Résultats principaux et conclusions
1. Corrélation entre données spectroscopiques et composition chimique
Les résultats indiquent que les données spectroscopiques Raman THz présentent un avantage significatif pour la prédiction de la composition chimique des pérovskites. En particulier, les modes vibrationnels de basse fréquence des liaisons Pb-X (tels que les modes de flexion et d’étirement) sont étroitement liés à la composition en halogènes. À l’inverse, la performance prédictive des données PL est plus faible en raison de la ségrégation de phases.
2. Performance du modèle de réseau de neurones artificiel
Le modèle ANN basé sur les données Raman THz et UV-Vis démontre une performance exceptionnelle dans la prédiction de la composition chimique des matériaux à pérovskite, avec un coefficient de régression atteignant 0,917. Ce modèle robuste fournit de nouveaux outils puissants pour le criblage et l’optimisation rapides des matériaux à pérovskite.
3. Valeur scientifique et perspectives d’application
Cette étude résout non seulement la difficulté de prédire la composition chimique des pérovskites à partir de données optiques, mais elle propose aussi une nouvelle méthode pour un développement efficace et une production industrielle des matériaux à pérovskite. En combinant synthèse à haut débit et apprentissage automatique, l’équipe de recherche a pu valider rapidement la composition chimique des matériaux et assurer un contrôle qualité en temps réel. Par ailleurs, ce modèle peut également être utilisé pour explorer l’hétérogénéité locale et structurale des pérovskites ainsi que la dynamique de ségrégation de phases.
Points forts de la recherche
- Méthode innovante : Cette étude combine pour la première fois synthèse à haut débit, techniques spectroscopiques haute résolution et réseaux de neurones artificiels pour prédire avec succès la composition chimique des matériaux à pérovskite.
- Prédiction de haute précision : Le modèle ANN basé sur les données Raman THz et UV-Vis atteint une précision prédictive de 92 %, nettement supérieure aux méthodes traditionnelles.
- Perspectives d’application larges : Ce modèle peut être utilisé pour le criblage rapide, l’optimisation et la production industrielle des matériaux à pérovskite, démontrant ainsi une grande valeur applicative.
Autres informations pertinentes
L’équipe a également mené une analyse d’importance des variables, révélant que les bandes spectrales 305-315 nm, 370-470 nm et 540-600 nm des données UV-Vis ont un impact significatif sur la prédiction du modèle. Du côté de la spectroscopie Raman THz, les plages de 10-19 cm⁻¹ (mode de flexion Pb-X), 40-60 cm⁻¹ (mode d’étirement symétrique X-Pb-Br) et 120-185 cm⁻¹ (mode d’étirement asymétrique X-Pb-X) sont particulièrement déterminantes pour la performance du modèle.
Résumé
En associant synthèse à haut débit, techniques spectroscopiques et réseaux de neurones artificiels, cette étude a permis le développement d’un modèle de haute précision capable de prédire la composition chimique des matériaux à pérovskite à partir de données optiques. Ce résultat résout non seulement une difficulté clé dans la recherche sur les matériaux à pérovskite, mais offre aussi de nouveaux outils et méthodes pour leur développement efficace et leur production industrielle. À l’avenir, avec l’agrandissement des ensembles de données et l’optimisation des modèles, la précision prédictive et le champ d’application de cette approche seront davantage élargis.