Le neuropeptide substance P module le destin des cellules souches pour favoriser la cicatrisation et la stratification de l'épiderme via des divisions asymétriques

La substance P neuropeptidique régule la division des cellules souches pour promouvoir la cicatrisation des plaies et la stratification épidermique — Analyse approfondie de la dernière étude de Khalifa et al.

Contexte de la recherche et problématique scientifique

La cicatrisation cutanée après une blessure est un processus physiologique majeur, de longue date au centre des préoccupations cliniques et fondamentales. Avec l’âge, l’apparition du diabète et les lésions nerveuses, la cicatrisation des plaies est souvent significativement altérée, menaçant gravement la santé des patients. Ces dernières années, les cellules souches cutanées (stem cell, SC) et leurs mécanismes de différenciation, ainsi que le rôle de la régulation nerveuse dans la réparation des plaies, sont devenus des axes de recherche majeurs. Malgré l’observation clinique répétée selon laquelle une lésion des nerfs sensoriels cutanés retarde nettement la cicatrisation, les mécanismes précis par lesquels les facteurs nerveux, notamment les neuropeptides, influencent le comportement des cellules souches cutanées et la reconstruction de la structure épidermique restent obscurs.

Cette étude se concentre sur le rôle de la substance P (Substance P, SP), un neuropeptide, dans la régulation du destin des cellules souches cutanées et la stratification épidermique. Les premières études ont montré que la perte d’innervation sensorielle entraîne non seulement un retard de cicatrisation, mais aussi une diminution de la SP, alors qu’un apport exogène de SP accélère nettement la réépithélialisation. Dans l’épiderme, les cellules souches peuvent se multiplier ou se différencier via des divisions symétriques (division des cellules souches symétriques, donnant deux cellules souches), des divisions asymétriques (division asymétrique donnant une cellule souche et une cellule fille différenciée), ou des divisions de progéniteurs engagés (committed progenitor, CP). Cependant, l’effet des lésions nerveuses et des variations de SP sur les différents types de divisions cellulaires, notamment sur la régulation spécifique des divisions symétriques/asymétriques des SC, manque encore de preuves robustes. Des avancées dans ce domaine auraient une grande portée fondamentale, tout en offrant des bases théoriques et des cibles d’intervention pour le traitement clinique des plaies chroniques difficiles à cicatriser (telles que les ulcères diabétiques ou les plaies chroniques chez la personne âgée).

Source de l’article et informations sur les auteurs

L’article, intitulé « neuropeptide substance p alters stem cell fate to aid wound healing and promote epidermal stratification through asymmetric stem cell divisions », regroupe les auteurs A Khalifa, T Xiao, B Abegaze, T Weisenberger, A Charruyer, Samia Sanad, Taher Abuelnasr, SW Kashem, M Fassett et R Ghadially. Les auteurs sont affiliés au département de zoologie de l’université de Zagazig (Égypte), au service de dermatologie de l’Université de Californie, San Francisco (UCSF), au VA Medical Center de San Francisco, ainsi qu’au deuxième hôpital affilié de l’université Jiaotong de Xi’an (Chine, Shaanxi). L’auteur correspondant est le professeur R. Ghadially. La publication est parue en 2024 chez Oxford University Press et relève du domaine public américain.

Conception de l’étude et stratégie technique

Il s’agit d’une étude originale basée sur l’expérimentation, articulée logiquement autour des points suivants :

1. Établissement et répartition des modèles murins

  • Animaux : Souris C57BL/6J, âgées de 8 à 12 semaines.
  • Groupes :
    • Groupe témoin (innervation sensorielle normale)
    • Groupe dénervé sensoriel (dénervation induite par la capsaïcine, simulant une lésion nerveuse sensorielle)
    • Groupe SP intervention (traitement exogène par SP chez des souris témoins ou dénervées)
    • Groupe inhibiteur Lapatinib (inhibiteur de la tyrosine kinase, bloque EGFR, pour validation mécanistique)
  • Modèle de lésion : ablation circulaire de 6 mm pleine épaisseur sur le dos aux sites symétriques, sans analgésie postopératoire.

2. Analyse des types et de l’activité des divisions des cellules souches/progénitrices

  • Analyse histologique et immunofluorescence : quatre jours après la lésion, prélèvement de la peau sur 0–4 mm en bordure de plaie ; coloration avec anticorps α/γ-tubuline pour visualiser l’axe du fuseau et mesure de l’angle avec la membrane basale (<30° pour division parallèle, 60–90° pour division perpendiculaire, cette dernière indicative de division asymétrique).
  • Détermination in vitro du destin de la division cellulaire : prélèvement de la peau périlésionnelle (4 mm), dissociation enzymatique et culture primaire de kératinocytes pendant 48 h ; immunofluorescence pour Numb (expression selon différenciation) et kératine 1 (marqueur de différenciation), observation des paires de cellules sœurs pour distinguer divisions symétriques/asymétriques et divisions de CP.

3. Dénervation sensorielle et intervention par SP

  • Modèle de dénervation : injection sous-cutanée de capsaïcine chez des jeunes souris, deux administrions espacées d’une semaine ; évaluation de la dénervation via le test du réflexe de la queue (tail-flick).
  • Apport de SP : administration de milieux de culture contenant diverses concentrations de SP (10^-9M, 10^-7M, 10^-5M, 10^-3M) ou injections intra-cutanées (32 μg de SP à chaque fois, autour de lésion, tous les deux jours, jusqu’à 24 jours), parfois associée au modèle de plaie.
  • Blocage par Lapatinib : expérimentations sur cellules in vitro et in vivo avec Lapatinib (2,5 μM), seul ou en combinaison avec SP, pour évaluer l’impact sur le destin de division SC et la reconstruction épidermique.

4. Mesures de cicatrisation, d’épaisseur épidermique et de densité cellulaire

  • Mesure de la surface de plaie : photographies répétées, analyse des surfaces par ImageJ.
  • Épaisseur épidermique et comptage cellulaire basal : coupes H&E, ImageJ, prise de 3 champs répartis équidistants, 8 images par champ, mesures de l’épaisseur et densité cellulaire basale pour 100 μm.
  • Statistiques : utilisation de Graphpad Prism9, comparaison des moyennes par test t de Student pour deux groupes, ANOVA pour comparaisons multiples, régression linéaire pour corrélations, significativité définie à p,05.

Principaux résultats expérimentaux et interprétation

1. La réponse proliférative précoce post-lésion provient principalement de la zone des cellules souches

  • À quatre jours après la lésion, les cellules en division s’accumulent significativement dans les 0–4 mm du bord de la plaie ; le nombre de divisions est augmenté par rapport au témoin.
  • L’immunofluorescence montre une multiplication par 5 des divisions perpendiculaires (SC asymétriques) dans la couche basale et un doublement des divisions parallèles (symétriques), sans changement de la division suprabasale.
  • L’analyse in vitro confirme que les divisions de SC, symétriques comme asymétriques, sont augmentées, alors que les divisions de CP ne le sont pas, ce qui indique que le pic prolifératif précoce provient principalement de l’auto-renouvellement des SC, non de l’expansion des CP.

2. La dénervation sensorielle retarde la cicatrisation et diminue la fonction des SC

  • Chez les souris dénervées la cicatrisation est significativement retardée (24,8 ± 0,3 jours contre 14,5 ± 0,3 jours) et la vitesse de guérison est diminuée tout au long de l’observation.
  • En peau dénervée, en présence ou non de lésion, il y a une diminution des divisions perpendiculaires et parallèles, l’épiderme est considérablement aminci, la densité des cellules basales est réduite.
  • L’analyse du devenir des SC révèle une chute significative des divisions asymétriques et des divisions de CP, confirmant l’importance des nerfs sensoriels et de leurs facteurs dérivés dans le maintien de l’activité des SC et de la différenciation des cellules issues des SC.

3. La substance P compense la dénervation, favorise la division asymétrique des SC et la cicatrisation

  • La meilleure concentration efficace de SP est 10^-7M ; chez la souris dénervée, des injections sous-cutanées de SP raccourcissent la cicatrisation à 18,8 ± 0,3 jours.
  • L’intervention par SP restaure non seulement la fréquence des divisions asymétriques des SC, mais augmente aussi directement la différenciation symétrique des CP. À tous les temps post-blessure, la surface de la plaie est significativement réduite par rapport au contrôle.
  • Les expérimentations à long terme montrent que, quels que soient la dénervation ou non, la SP induit un épaississement épidermique et une stratification, en augmentant fortement la densité cellulaire basale.

4. La nécessité des divisions SC asymétriques dans la stratification induite par SP démontée par Lapatinib

  • Lapatinib, en bloquant la voie EGFR, inhibe in vitro et in vivo la division asymétrique des SC, avec ou sans SP.
  • Lapatinib empêche l’épaississement épidermique induit par SP en état normal ou dénervé, ramenant l’épiderme à son état aminci.
  • Cela indique que l’effet de stratification épidermique de la SP dépend strictement de la division asymétrique des SC.

Conclusions, valeur académique et applications potentielles

Cette étude dévoile, pour la première fois de manière systématique, qu’à la phase précoce de la cicatrisation cutanée murine, les divisions symétriques et asymétriques des SC sont toutes deux amplifiées, générant le nouvel épiderme, alors que les CP jouent un rôle mineur. La lésion des nerfs sensoriels réduit l’auto-renouvellement des SC et la construction de la néo-épiderme, entrainant également directement ou indirectement une différenciation limitée des CP. La SP, marqueur de l’intégrité nerveuse sensorielle, rétablit la fonction des SC en cas de lésion nerveuse, accélère la cicatrisation, et par la promotion de la division asymétrique des SC, favorise la stratification épidermique et la reconstruction structurale. Les expériences d’inhibition par voie EGFR démontrent que cette division asymétrique est essentielle à l’action exubérante de la SP.

L’étude comble une lacune dans la compréhension mécanistique du continuum « innervation sensorielle — neuropeptide — destin des SC — régénération de la peau » et offre une base théorique et expérimentale solide pour envisager des thérapies basées sur les neurotransmetteurs dans les plaies chroniques réfractaires, suggérant que des interventions ciblées sur la SP et sa voie pourraient ouvrir de nouvelles voies cliniques.

Points forts de l’étude

  1. Innovation mécanistique : démontre pour la première fois que la SP favorise la stratification épithéliale en stimulant la division asymétrique des SC, remettant en question la compréhension du rôle de chaque type de division dans la cicatrisation physiologique et pathologique.
  2. Pertinence translationnelle : démontre systématiquement que l’administration de SP améliore la cicatrisation en cas de déficit d’innervation, jetant les bases de stratégies pour plaies chroniques liées à l’âge ou au diabète.
  3. Méthodologie rigoureuse et originale : articulation des niveaux moléculaire, cellulaire et animal ; innovation dans la quantification des angles de division et l’analyse immunofluorescente, rendant les conclusions précises et solides.
  4. Enrichissement conceptuel : propose une nouvelle perspective mécaniste sur la formation de la stratification épidermique — rôle fondamental de la division asymétrique des SC — avec des implications sur la compréhension de maladies, voire de la tumorigenèse.

Informations additionnelles

L’ensemble des données de la publication est accessible sur Figshare en accès libre (DOI : https://doi.org/10.6084/m9.figshare.22280254.v1), facilitant l’exploration ou les études croisées pour toute la communauté. Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts. Toutes les procédures sur animaux ont été approuvées par les comités d’éthique, avec des protocoles exhaustifs et de haut standard.

Résumé

Par cette collaboration internationale multicentrique, Khalifa et collègues apportent un éclairage neuf sur les bases moléculaires et cellulaires de la régulation nerveuse de la régénération et de la stratification cutanées. Grâce à une série de modèles animaux et de techniques cellulaires et moléculaires avancées, ils montrent que la SP est un acteur clé de la cicatrisation dépendante de l’innervation sensorielle, via la stimulation de la division asymétrique des SC, permettant une réépithélialisation rapide et efficace de la plaie ainsi qu’une stratification optimale. Cette étude jette un pont entre biologie fondamentale et médecine clinique, et ouvre de nouvelles perspectives théoriques pour l’innovation thérapeutique dans le traitement des plaies chroniques difficiles.