Cytomégalovirus oncolytiques exprimant un complexe glycoprotéique fusion EGFR-ciblé et une interleukine-12 contrôlable par médicament
Potentiel des cytomégalovirus oncolytiques exprimant une glycoprotéine fusionnelle redirigée par EGFR et de l’IL-12 contrôlable par médicament dans l’immunothérapie contre le cancer
Contexte et objectifs de l’étude
Ces dernières années, l’immunothérapie par virothérapie oncolytique (cancer viroimmunotherapy) est devenue un domaine de recherche prometteur dans le traitement du cancer. Cette thérapie repose sur l’utilisation de virus pour infecter les cellules tumorales, remodeler l’environnement immunosuppressif de la tumeur et activer les réponses immunitaires antitumorales systémiques. Les thérapies oncolytiques basées sur l’HSV (virus de l’herpès simplex) ont déjà montré des succès dans le traitement du mélanome avancé ou métastatique (advanced or metastatic melanoma), comme le Talimogene laherparepvec (T-VEC). Cependant, son extension à d’autres types de cancers reste un défi majeur. En revanche, le cytomégalovirus (Cytomegalovirus, CMV), en raison de son large tropisme cellulaire (incluant les cellules myéloïdes associées aux tumeurs et les cellules de gliome), suscite l’intérêt des chercheurs pour son potentiel en immunothérapie contre le cancer.
Des observations cliniques antérieures suggèrent que la réactivation du CMV ou les réponses immunitaires associées pourraient être corrélées à la survie prolongée de certains patients atteints de cancer. Cependant, à ce jour, il n’existe pas de plateforme systématique de virothérapie oncolytique basée sur le CMV. L’objectif de cette étude est donc de reconstituer le génome du CMV pour développer un virus oncolytique présentant une virulence amoindrie, un ciblage amélioré des tumeurs et des capacités d’activation immunitaire robustes, et d’évaluer son efficacité contre le glioblastome multiforme (Glioblastoma Multiforme, GBM).
Origine de l’étude et informations sur les auteurs
Cette recherche a été réalisée par une équipe de scientifiques composée de Haifei Jiang, Rebecca Nace, Coryn Ferguson, Lianwen Zhang, Kah Whye Peng et Stephen J. Russell, affiliés à la Mayo Clinic et Vyriad Inc., aux États-Unis. Les résultats ont été publiés le 21 janvier 2025 dans le volume 6 de Cell Reports Medicine.
Processus et méthodologie de l’étude
Cette étude originale se divise en plusieurs étapes principales :
1. Ingénierie génétique et construction des vecteurs CMV oncolytiques :
Les chercheurs ont utilisé la souche AD169R pour synthétiser un CMV oncolytique. La fonctionnalité du complexe glycoprotéique pentamérique (Pentamer Complex, PC) a été restaurée, et les régions UL1-UL20 et UL/b’ ont été supprimées pour réduire la virulence du virus. Afin de renforcer les capacités de ciblage tumoral du CMV, une glycoprotéine fusionnelle redirigée par le récepteur du facteur de croissance épidermique (EGFR, Epidermal Growth Factor Receptor) a été introduite dans le génome viral, associée à un module IL-12 régulé par le système Tet-Off.
2. Expérimentations in vitro :
Les capacités infectieuses, les effets oncolytiques et l’efficacité de réplication du virus ont été évalués sur les lignées cellulaires U87 et U251 de gliome. L’expression des protéines de fusion nouvellement introduites (telles que le complexe H/F du MeV) a été vérifiée par Western Blot et cytométrie en flux.
3. Modèle de xénogreffe GBM murin :
Les souris immunodéficientes ont été utilisées pour établir des modèles de xénogreffes U87 et U251. Des injections intratumorales ont permis d’évaluer l’impact du CMV oncolytique sur la croissance tumorale, la propagation intratumorale du virus et l’expression contrôlée de l’IL-12.
4. Études immunologiques dans un modèle GBM murin syngénique :
Dans des modèles murins immunocompétents, les réponses immunitaires systémiques déclenchées par le CMV oncolytique ont été étudiées, avec une attention particulière sur les effets du virus sur les lymphocytes T CD4+, T CD8+ et les lymphocytes T non classifiés (CD4-/CD8- T cells).
Résultats et principales découvertes
1. Modifications génétiques et action de la protéine fusionnelle :
La restauration de la fonctionnalité du PC a légèrement élargi le tropisme infectieux du CMV, notamment dans les cellules U251. La glycoprotéine fusionnelle redirigée par EGFR (H/F) a augmenté l’effet oncolytique sur les cellules tumorales tout en réduisant la réplication persistante du CMV, améliorant ainsi son profil de sécurité.
2. Expression contrôlée de l’IL-12 et activation immunitaire :
Le système Tet-Off a permis de réguler l’expression d’IL-12 de manière dose-répondante. Dans les modèles murins immunodéficients, l’IL-12 n’a montré aucun effet notable, tandis que dans les modèles immunocompétents, il a significativement renforcé l’activité des lymphocytes T et montré des effets antitumoraux supérieurs.
3. Efficacité antitumorale dans les modèles animaux :
Dans les modèles de xénogreffes U87 et U251, les virus CMV exprimant les complexes H/F ont significativement promu la propagation intratumorale du virus au stade précoce (12 jours après le traitement) tout en supprimant la croissance tumorale et en prolongeant la survie des souris. En outre, les vecteurs exprimant l’IL-12 ont déclenché une réponse immunitaire systémique robuste, en particulier dans les tumeurs distales non injectées.
Conclusions et implications
Cette étude a abouti au développement d’une nouvelle plateforme CMV oncolytique présentant les caractéristiques suivantes :
1. Suppression de la virulence par des délétions génétiques ciblées ;
2. Amélioration de la spécificité tumorale grâce à des protéines de fusion redirigées vers l’EGFR ;
3. Activation immunitaire amplifiée par l’expression contrôlée d’IL-12.
Ces découvertes jettent les bases d’une amélioration des stratégies d’ingénierie virale pour des applications en immunothérapie contre le cancer, tout en soulignant le potentiel du CMV pour induire des réponses immunitaires puissantes et remodeler le microenvironnement tumoral.
Points forts et valeur de l’étude
- Innovation en ingénierie génétique : La suppression des régions UL1-UL20 et UL/b’, ainsi que la restauration du PC, ont considérablement accru la sécurité et l’efficacité du CMV oncolytique.
- Technologie des protéines de fusion : L’introduction des complexes H/F redirigés constitue une première dans cette étude et améliore la cytotoxicité tumorale spécifique.
- Activation immunitaire améliorée : L’expression contrôlée d’IL-12 par le système Tet-Off a permis de renforcer les réponses immunitaires T systémiques.
Des études futures devraient explorer les effets immunitaires du CMV oncolytique dans des modèles de tumeurs compatibles avec les antigènes leucocytaires humains (MHC) et poursuivre les validations cliniques chez les patients atteints de GBM.