Essai de phase 1/2 de Brogidirsen : oligonucléotides antisens à double ciblage pour le saut de l’exon 44 dans la dystrophie musculaire de Duchenne

Avancées sur les oligonucléotides antisens à double ciblage pour l’exon skipping chez les patients atteints de myopathie de Duchenne : essai clinique de phase I/II sur le Brogidirsen

Introduction

La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) est une maladie génétique fatale qui affecte principalement les fonctions des muscles squelettiques et cardiaques, entraînant une perte précoce de la mobilité et, dans des cas graves, une défaillance organique. À ce jour, aucun traitement curatif n’est disponible pour cette maladie. Elle est causée par une mutation du gène DMD situé sur le bras court du chromosome X (Xp21.2), entraînant un déficit ou une anomalie de la dystrophine, une protéine-clé pour la stabilité de la membrane des myofibres musculaires. L’absence de dystrophine provoque une dégénérescence progressive des fibres musculaires, conduisant à la nécrose musculaire et au déclin fonctionnel.

Parmi les traitements émergents, la thérapie dite d’« exon-skipping » (saut d’exon) est une approche moléculaire prometteuse. Elle repose sur de courts oligonucléotides antisens (ASO) qui corrigent les anomalies du gène DMD pour produire une dystrophine fonctionnelle bien que partielle. Cependant, les stratégies actuelles d’ASO sont limitées à des types de mutations spécifiques et montrent une efficacité thérapeutique perfectible. Afin de surmonter ces limites, une équipe de recherche du National Center of Neurology and Psychiatry (NCNP) au Japon a développé un nouvel oligonucléotide antisens à double ciblage — le Brogidirsen (code moléculaire : NS-089/NCNP-02), conçu pour induire le saut de l’exon 44 du gène DMD.

Source de l’étude

Cette recherche a été menée par Hirofumi Komaki, Eri Takeshita, Katsuhiko Kunitake et leurs collègues du NCNP au Japon. Il s’agit du premier essai clinique sur l’homme impliquant le Brogidirsen. Les résultats de l’étude ont été publiés sous le titre “Phase 12 Trial of Brogidirsen: Dual-Targeting Antisense Oligonucleotides for Exon 44 Skipping in Duchenne Muscular Dystrophy” dans Cell Reports Medicine, en date du 21 janvier 2025. L’essai a été enregistré sous ClinicalTrials.gov (NCT04129294).

Conception de l’étude et méthodologie

Design de l’étude

Cet essai clinique de phase I/II est ouvert (open-label) et repose sur une escalade des doses pour tester la sécurité, l’efficacité pharmaceutique et les propriétés pharmacocinétiques du Brogidirsen. L’essai comporte deux phases principales :

  1. Partie 1 : Exploration des doses (4 semaines)

    • Les patients ont été répartis en deux cohortes, recevant des injections intraveineuses hebdomadaires de Brogidirsen à des doses croissantes (1,62 mg/kg, 10 mg/kg, 40 mg/kg et 80 mg/kg). Chaque cohorte comprenait 3 patients atteints de DMD.
    • L’objectif de cette première partie est d’évaluer la sécurité, la tolérance et les premiers effets observés.
  2. Partie 2 : Traitement prolongé (24 semaines)

    • Cette phase examine les deux doses les plus élevées établies dans la Partie 1 (40 mg/kg et 80 mg/kg). Chaque cohorte inclut également 3 patients.

Un total de six garçons entre 4 et 13 ans ont été inclus dans l’étude. Parmi eux, 5 portaient une délétion spécifique de l’exon 45 et 1 portait une délétion couvrant les exons 45 à 54. Tous les patients retenus pouvaient encore marcher au début du traitement, et la majorité recevait une corticothérapie au moment de l’essai.

Analyse des données
  1. Efficacité du saut d’exon 44
    L’efficacité a été mesurée par RT-PCR, analysant les échantillons de muscle des patients. Le ratio de saut a été calculé comme suit : fragment d’exon supprimé / (fragment d’exon complet + fragment d’exon supprimé) × 100 %.

  2. Niveau de dystrophine
    L’expression de la dystrophine a été quantifiée par western blotting et par immunohistochimie (IHC), et normalisée par rapport aux protéines de référence.

  3. Pharmacocinétique
    Les concentrations de Brogidirsen dans le plasma sanguin, ainsi que des indicateurs pharmacocinétiques tels que la concentration plasmatique maximale (Cmax), les aires sous la courbe (AUC), et la demi-vie (T1/2) ont été mesurés.

  4. Analyse protéomique
    Une évaluation protéomique haut débit (via la plateforme Olink) des marqueurs plasmatiques associés aux pathologies musculaires a été réalisée à trois moments différents durant l’étude : à la ligne de base (baseline), à 12 semaines et à 24 semaines de traitement.

  5. Essais in vitro sur cellules dérivées des patients
    Des cellules musculaires ont été générées à partir d’échantillons d’urine des patients, puis traitées par Brogidirsen pour évaluer son efficacité en laboratoire.

Résultats principaux

  1. Sécurité et tolérance

    • Lors de la Partie 1, des effets secondaires mineurs, tels qu’une augmentation de la bêta-2-microglobuline urinaire, ont été observés aux faibles doses. Aucune réaction grave (SAE) n’a été signalée aux doses plus élevées (40 mg/kg et 80 mg/kg) durant la Partie 2.
    • Le Brogidirsen a été bien toléré aux doses élevées durant les 24 semaines de traitement.
  2. Efficacité de l’exon skipping et expression de la dystrophine

    • Le saut d’exon 44 a atteint une moyenne globale de 32,10 % après traitement, avec une différence notable dans le groupe haute dose (80 mg/kg).
    • L’expression de la dystrophine a atteint 16,63 % à 40 mg/kg et 24,47 % à 80 mg/kg, significativement au-dessus des niveaux de base pour chaque groupe.
  3. Marqueurs protéomiques

    • Les niveaux de protéines plasmatiques associées à une destruction musculaire (Titin, Myomesin 2, et la chaîne légère de myosine Mylpf) ont significativement diminué après traitement.
    • La diminution notable d’un marqueur neuro-musculaire important, PADI2, a également été corrélée à une stabilisation des fonctions motrices.
  4. Pharmacocinétique

    • Une augmentation dose-dépendante de Cmax et d’AUC a été observée, sans effet d’accumulation détecté.

Conclusions et implications

Ces premiers résultats indiquent que le Brogidirsen est sûr, bien toléré et prometteur comme thérapie exon skipping pour les patients DMD ciblant l’exon 44. L’efficacité accrue de ce médicament à double ciblage offre des niveaux de dystrophine plus proches des niveaux normaux et pourrait mieux stabiliser les fonctions musculaires, offrant ainsi un potentiel considérable pour traiter la DMD.

Points forts de l’étude

  1. Design novateur à double ciblage
    Offre une efficacité améliorée en matière de délivrance et de saut d’exon.

  2. Analyse protéomique poussée
    Identification de nouveaux biomarqueurs prédictifs de réponses au traitement.

  3. Validation sur cellules dérivées des patients
    Une méthodologie non invasive et fiable pour évaluer les effets pharmacologiques ex vivo.

Perspectives futures

Avec ses résultats encourageants, le Brogidirsen pourrait transformer l’approche actuelle des thérapies exon skipping adaptées à la DMD. Les prochaines étapes incluent l’expansion des essais à une population plus large sur une plus longue période et l’amélioration du ciblage des muscles squelettiques et cardiaques.

Cette étude constitue une avancée majeure, offrant un nouveau paradigme pour la médecine de précision dans le traitement des maladies héréditaires rares.