Modulation de l'activité des cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse comme stratégie thérapeutique après un infarctus du myocarde : une étude préclinique

Contexte académique

L’infarctus du myocarde (Myocardial Infarction, MI) est l’un des principaux problèmes de santé à l’échelle mondiale. Bien que les cellules myéloïdes de la moelle osseuse (Bone Marrow, BM) soient cruciales pour la réparation tissulaire après un infarctus du myocarde, une myélopoïèse excessive peut exacerber la formation de cicatrices et altérer la fonction cardiaque. Les cellules souches hématopoïétiques (Hematopoietic Stem Cells, HSCs) de la moelle osseuse possèdent une capacité unique de régénération, permettant de reconstituer le système hématopoïétique. Cependant, le rôle des HSCs dans l’hématopoïèse d’urgence (Emergency Hematopoiesis, EH) après un infarctus du myocarde n’est pas encore entièrement compris. Des études précédentes ont montré que les HSCs dans les modèles murins prolifèrent et voient leur fonction diminuer après un infarctus du myocarde, mais il reste incertain si les HSCs contribuent directement à la génération de cellules immunitaires infiltrant le cœur. De plus, les stratégies thérapeutiques ciblant l’inflammation systémique après un infarctus du myocarde ont donné des résultats mitigés dans les études cliniques, soulignant la nécessité de développer de nouvelles approches thérapeutiques spécifiques.

Source de l’article

Cette recherche a été menée par une équipe collaborative de plusieurs institutions internationales, notamment l’Université de Fribourg (University of Freiburg) en Allemagne et l’École polytechnique fédérale de Zurich (ETH Zurich) en Suisse. L’équipe de recherche était dirigée par Jasmin Rettkowski, Mari Carmen Romero-Mulero et d’autres chercheurs éminents. L’article a été publié en avril 2025 dans la revue Nature Cell Biology sous le titre Modulation of Bone Marrow Haematopoietic Stem Cell Activity as a Therapeutic Strategy after Myocardial Infarction: A Preclinical Study.

Processus et résultats de la recherche

1. Collecte et analyse préliminaire des échantillons de patients

L’équipe de recherche a collecté des échantillons de moelle osseuse sternale auprès de plus de 150 patients ayant subi une chirurgie cardiaque, et en a sélectionné 49 présentant une fonction cardiaque préservée, répartis en groupes témoin et infarctus du myocarde. Grâce à l’analyse par séquençage d’ARN monocellulaire (scRNA-seq), l’équipe a observé que l’infarctus du myocarde entraînait des changements transcriptionnels et fonctionnels significatifs dans les HSCs de la moelle osseuse. Plus précisément, le nombre de HSCs a diminué, tandis que celui des progéniteurs multipotents (Multipotent Progenitors, MPPs) et des progéniteurs lymphoïdes (Multilymphoid Primed Progenitors, MLPs) a augmenté. L’analyse d’enrichissement de gènes (Gene Set Enrichment Analysis, GSEA) a révélé que les gènes associés à la pluripotence des HSCs étaient régulés à la baisse après un infarctus du myocarde, tandis que les gènes liés à l’activation du cycle cellulaire étaient régulés à la hausse.

2. Expériences fonctionnelles in vitro

Pour évaluer la fonction des HSCs après un infarctus du myocarde, l’équipe a réalisé des expériences de formation de colonies (Colony-Forming Unit, CFU) in vitro. Les résultats ont montré que les HSCs post-infarctus présentaient une capacité accrue de formation de colonies lors du premier passage, mais une diminution significative lors du deuxième passage, indiquant une altération de leur capacité d’auto-renouvellement. Des expériences de transplantation in vivo ont également confirmé une diminution marquée de la capacité de reconstruction à long terme des HSCs post-infarctus.

3. Analyse des monocytes

L’équipe a également effectué une analyse par séquençage d’ARN monocellulaire sur les monocytes de la moelle osseuse, révélant que la trajectoire de génération des monocytes après un infarctus du myocarde passait des progéniteurs myéloïdes communs (Common Myeloid Progenitors, CMPs) aux monocytes classiques, intermédiaires et non classiques. Les niveaux de CMPs ont augmenté de manière significative pendant la phase aiguë, tandis que la phase chronique a montré une augmentation des monocytes en circulation. L’analyse GSEA a révélé que les monocytes de la phase aiguë présentaient des caractéristiques pro-inflammatoires marquées, qui persistaient pendant la phase chronique.

4. Traçage de lignée des HSCs dans un modèle murin

Pour vérifier si les HSCs contribuent directement à la génération de cellules immunitaires infiltrant le cœur après un infarctus du myocarde, l’équipe a utilisé un modèle murin Fgd5CreERT2 pour le traçage de lignée. Les résultats ont montré que les HSCs se différenciaient en progéniteurs myéloïdes (Myeloid Progenitors, MyPs) et en cellules myéloïdes en nombre significativement accru après un infarctus du myocarde. Par immunofluorescence et cytométrie en flux, l’équipe a détecté un grand nombre de cellules myéloïdes dérivées des HSCs dans la zone infarctue, y compris des neutrophiles, des macrophages et des monocytes inflammatoires.

5. Rôle des métabolites de la vitamine A

L’équipe a exploré le rôle des métabolites de la vitamine A dans la régulation des HSCs. Des expériences in vitro ont montré que l’acide rétinoïque tout-trans (All-Trans Retinoic Acid, AT-RA) et son métabolite dérivé, l’acide 4-oxo-rétinoïque (4-Oxo-Retinoic Acid, 4-Oxo-RA), pouvaient renforcer les caractéristiques de pluripotence des HSCs et réduire leur différenciation. Cependant, des expériences in vivo ont révélé que bien que l’AT-RA puisse inhiber l’activation des HSCs, il induisait une réponse pro-inflammatoire dans les cellules myéloïdes cardiaques, limitant ainsi son efficacité dans la réparation cardiaque post-infarctus. En revanche, le 4-Oxo-RA, en se liant spécifiquement au récepteur RARβ, maintenait les HSCs dans un état de quiescence et améliorait significativement la fonction cardiaque après un infarctus du myocarde.

6. Effets à long terme du 4-Oxo-RA

Dans le modèle murin, le traitement par 4-Oxo-RA a significativement réduit l’infiltration de cellules myéloïdes dérivées des HSCs dans le cœur et amélioré la fonction cardiaque après un infarctus du myocarde. Par séquençage d’ARN monocellulaire, l’équipe a observé que les cellules myéloïdes cardiaques après traitement par 4-Oxo-RA présentaient des caractéristiques inflammatoires réduites et une proportion accrue de macrophages réparateurs. De plus, le traitement par 4-Oxo-RA a réduit le dépôt de collagène après l’infarctus et augmenté significativement la fraction d’éjection du ventricule gauche (Left Ventricular Ejection Fraction, LVEF).

Conclusion et implications

Cette étude révèle pour la première fois les mécanismes d’activation et de déclin fonctionnel des HSCs de la moelle osseuse après un infarctus du myocarde, et démontre que les HSCs contribuent directement à la génération de cellules myéloïdes inflammatoires infiltrant le cœur. En utilisant le 4-Oxo-RA pour moduler spécifiquement l’état de quiescence des HSCs, l’équipe a réussi à supprimer la myélopoïèse excessive et à améliorer la fonction cardiaque après un infarctus du myocarde. Cette découverte ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques pour le traitement de l’infarctus du myocarde, en ciblant l’activité des HSCs pour supprimer la réponse inflammatoire et favoriser la réparation cardiaque.

Points forts de la recherche

  1. Rôle des HSCs après un infarctus du myocarde : Première démonstration de la contribution directe des HSCs à l’hématopoïèse d’urgence après un infarctus du myocarde, et élucidation des mécanismes de leur déclin fonctionnel.
  2. Potentiel thérapeutique des métabolites de la vitamine A : Le 4-Oxo-RA, en se liant spécifiquement au récepteur RARβ, maintient les HSCs dans un état de quiescence et améliore significativement la fonction cardiaque après un infarctus du myocarde.
  3. Application de la technologie de traçage de lignée : Grâce au modèle murin Fgd5CreERT2, l’équipe a pu tracer avec succès les cellules myéloïdes dérivées des HSCs infiltrant le cœur.
  4. Analyse approfondie par séquençage d’ARN monocellulaire : Le séquençage d’ARN monocellulaire a permis de révéler les changements transcriptionnels des HSCs et des monocytes après un infarctus du myocarde, fournissant une base moléculaire pour comprendre leur fonction.

Autres informations pertinentes

Cette étude a également exploré les limites de l’AT-RA dans le traitement de l’infarctus du myocarde, soulignant que sa liaison non spécifique pourrait induire une réponse pro-inflammatoire dans les cellules myéloïdes cardiaques, limitant ainsi son efficacité thérapeutique. Ces résultats suggèrent que l’utilisation de l’AT-RA en clinique devrait être envisagée avec prudence, en privilégiant des alternatives plus spécifiques comme le 4-Oxo-RA.

Cette recherche offre non seulement de nouvelles stratégies pour le traitement de l’infarctus du myocarde, mais fournit également des bases scientifiques importantes pour comprendre le rôle des HSCs dans l’hématopoïèse d’urgence.