Les cellules souches hématopoïétiques enrichies en mitochondries présentent une capacité d'auto-renouvellement accrue dans la moelle osseuse vieillissante

Les cellules souches hématopoïétiques enrichies en mitochondries révèlent une activité d’auto-renouvellement accrue dans la moelle osseuse vieillissante : Analyse approfondie d’une étude récente dans Nature Aging

I. Contexte académique et importance de l’étude

Les cellules souches hématopoïétiques (Hematopoietic Stem Cells, HSCs) constituent le fondement clé du maintien, tout au long de la vie, de la production des cellules sanguines et immunitaires. Cependant, avec le vieillissement de l’organisme, les propriétés fonctionnelles de ces HSCs changent de manière notable, entraînant une diminution de la capacité de régénération, un déséquilibre de la différenciation cellulaire et un risque accru de maladies du système hématopoïétique. Les études associées montrent que le vieillissement des HSCs ne s’exprime pas seulement par une perte de fonction, mais également par des modifications profondes du métabolisme, de l’expression génique et de la dynamique des organites cellulaires, en particulier des mitochondries. Toutefois, quant au rôle précis des mitochondries dans le processus de vieillissement des HSCs, et sur la façon dont la qualité et la quantité mitochondriales influencent la « stemness » (capacité souche) et l’auto-renouvellement des HSCs âgés, le consensus académique reste à établir.

Ces dernières années, il est désormais reconnu que les mitochondries, cœur du métabolisme cellulaire et de l’apport énergétique, voient leur dysfonctionnement devenir un marqueur clé du vieillissement des HSCs. Certaines études laissent supposer que la régulation de la qualité mitochondriale influence le destin des HSCs, l’équilibre entre leur maintenance en état souche et leur différenciation. Toutefois, le consensus existant s’est essentiellement concentré sur l’effet délétère des dommages mitochondriaux sur la fonction des HSCs, sans explorer en profondeur les véritables caractéristiques biologiques des HSCs avec une « haute qualité/quantité mitochondriale » dans la moelle osseuse vieillissante. Certains avancent que ces HSCs à forte teneur en mitochondries pourraient n’être qu’une sous-population accumulant des dommages et proche de l’épuisement, manquant de capacité d’auto-renouvellement et ne présentant pas de réelle activité régénérative. Cette étude se concentre donc sur l’impact de la qualité mitochondriale sur la fonction des HSCs vieillissants, avec pour objectif de clarifier les traits distinctifs et la signification des HSCs à forte qualité mitochondriale dans la moelle osseuse âgée, ainsi que de révéler d’éventuels marqueurs moléculaires et mécanismes de régulation spécifiques.

II. Origine de la publication et informations sur les auteurs

Cet article, intitulé “mitochondria-enriched hematopoietic stem cells exhibit elevated self-renewal capabilities, thriving within the context of aged bone marrow”, a été rédigé par Haruhito Totani, Takayoshi Matsumura (auteur correspondant), Rui Yokomori, Terumasa Umemoto, Yuji Takihara et d’autres chercheurs de l’Institut des Sciences du Cancer de Singapour (Cancer Science Institute of Singapore), de l’Université Nationale de Singapour, de Jichi Medical University (Japon), de Kumamoto University (Japon), de l’Institut d’Hématologie de l’Académie Chinoise des Sciences et de Nagoya City University Graduate School of Medical Sciences (Japon). Cette étude a été publiée en mai 2025 dans la prestigieuse revue internationale de gérontologie “Nature Aging”.

III. Détail du déroulement de la recherche

1. Conception générale de l’étude

Cette étude de recherche fondamentale et systématique s’appuie sur des modèles murins transgéniques, des méthodes d’”single-cell omics”, des protocoles de transplantation cellulaire, de tri cellulaire et de nombreux tests fonctionnels pour caractériser à multiples niveaux les propriétés biologiques et fonctionnelles des cellules souches hématopoïétiques à “haute qualité mitochondriale” (mitochondria-enriched HSCs) dans un contexte de vieillissement.

1.1 Modèles murins et système de marquage mitochondrial

Pour mesurer de façon dynamique et précise la qualité des mitochondries dans les HSCs, les auteurs ont utilisé la souris “mito-dendra2”, exprimant globalement la protéine fluorescente Dendra2 ciblée vers la mitochondrie. Ce système évite les biais liés à l’expulsion des colorants mitochondriaux par des pompes d’efflux propres aux HSCs, fournissant une quantification précise et stable de la teneur en mitochondries.

1.2 Sous-populations de HSCs et tri cellulaire

Des souris jeunes (8-12 semaines) et âgées (50-140 semaines) ont été utilisées. Après isolement de la moelle osseuse, les HSCs ont été rigoureusement sélectionnées par marquage et cytométrie en flux. Les sous-types analysés comprennent :

  • LSK (Lin^-Sca1^+c-Kit^+)
  • SLAM-HSC (CD150^+CD48^-LSK)
  • ESLAM-HSC (Endothelial protein C receptor^+ soit EPCR^+ SLAM-HSC)

Selon l’intensité du signal de fluorescence, chaque lot de HSCs a été divisé en deux sous-populations : “mito-dendra2 haut” (20% supérieur d’intensité) et “mito-dendra2 bas” (20% inférieur).

1.3 Analyse de la qualité mitochondriale, de la fonction et des marqueurs associés

  • Mesure multiple de paramètres mitochondriaux : nombre de copies d’ADN mitochondrial (mtDNA), potentiel de membrane mitochondrial (MMP), autophagie/mitophagie, expression de gènes liés à l’OXPHOS, etc.
  • Combinée à la détection de marqueurs (EPCR, CD150, GPR183…), afin de relier fonction biologique et phénotype moléculaire.

1.4 Évaluation fonctionnelle des HSCs et modèle de transplantation

  • Transplantation de moelle osseuse (BMT) : les HSCs à haute ou basse qualité mitochondriale sont transplantées dans des souris receveuses soumises à une irradiation létale (avec cellules compétitrices), puis le chimerisme du sang périphérique et de la moelle est analysé après 16 semaines.
  • Expansion et différenciation in vitro : culture exempte de sérum avec Thrombopoietin (TPO), SCF et Soluplus afin d’évaluer les tendances d’auto-renouvellement et de différenciation des différentes sous-populations.
  • Test de formation de colonies (CFU-C) : mesure in vitro du potentiel multipotent des HSCs.

1.5 Omique unicellulaire et multi-omique (multiome)

  • Plateforme 10x Genomics : séquençage de l’ARN et accessibilité de la chromatine (ATAC-seq) en cellule unique sur des SLAM-HSCs jeunes/âgées, à haute/basse qualité mitochondriale, pour cartographier l’hétérogénéité cellulaire et les réseaux moléculaires.
  • Analyse (Seurat, Signac sous R), clustering des plus proches voisins, GSVA, GSEA, identification de gènes différentiellement exprimés, intégration de données multiomiques pour révéler des gènes clés et les réseaux de régulation.

1.6 Identification et validation fonctionnelle du nouveau marqueur GPR183

  • Validation croisée multi-omique pour cribler, à partir de plusieurs bases de données d’HSCs vieillissantes, la molécule GPR183 comme marqueur à la fois spécifique et liée à la stemness des HSCs âgées ; validation par qPCR, cytométrie de flux, etc.

2. Étapes expérimentales principales et innovations techniques

  • Utilisation novatrice des souris mito-dendra2 évitant l’expulsion des colorants traditionnels, augmentant ainsi la précision dans la distinction des HSCs selon leur qualité mitochondriale.
  • Intégration des approches multiomiques pour l’analyse approfondie du phénotypage cellulaire, de l’expression génique et du statut de la chromatine des sous-populations de HSCs.
  • Association des tests fonctionnels et moléculaires pour relier directement stemness, différenciation et vieillissement, dans un protocole expérimental robuste.

IV. Résultats principaux et avancées scientifiques

1. Les cellules souches hématopoïétiques à haute qualité mitochondriale conservent leur stemness dans la moelle osseuse vieillissante

  • Les SLAM-HSCs âgées présentent une qualité mitochondriale significativement supérieure à celle des jeunes ; ce phénomène est en partie dû à la diminution de l’autophagie/mitophagie, avec une élimination mitochondriale altérée.
  • Les HSCs à haute qualité mitochondriale (mito-dendra2^high) présentent un nombre de copies mtDNA augmenté, ainsi qu’une expression renforcée de marqueurs stemness tels qu’EPCR et CD150.
  • Lors de la transplantation, les souris recevant des HSCs à haute qualité mitochondriale montrent un chimerisme accru en LT-HSCs dans la moelle, avec un maintien prolongé de la stemness.
  • In vitro, ces HSCs à haute qualité mitochondriale montrent une remarquable capacité d’auto-renouvellement, avec un potentiel d’expansion de 30 fois en deux semaines, restant majoritairement dans les fractions des cellules souches ; alors que celles à faible qualité mitochondriale s’orientent plus volontiers vers la différenciation.

2. Ces HSCs maintiennent une activité OXPHOS/ATP élevée sans augmentation notable des ROS

  • L’approche de single-cell omics révèle une co-enrichissement en gènes classiques et récents associés au phénotype stemness (Sca1, EPCR, vwf, alcam, CD63, PDZK1IP1…).
  • Les analyses GSVA et KEGG indiquent un enrichissement en voies d’oxydation phosphorylante (OXPHOS) et d’homéostasie du fer.
  • Malgré l’expression accrue des gènes de fusion mitochondriale (hausse de MFN2), il n’existe pas d’augmentation nette de la biogenèse mitochondriale, mais plutôt une accumulation fonctionnelle de mitochondries conservées.
  • La production d’ATP augmente nettement, dépendant principalement de l’OXPHOS ; l’inhibition par 2-DG affecte plus les HSCs à faible teneur en mitochondries tandis qu’Oligomycin A cible prioritairement le groupe de haute qualité ; néanmoins, aucun accroissement significatif des ROS (cellulaires ou mitochondriaux) n’est observé, suggérant un équilibre « haute énergie, faible dommage » ;

3. GPR183 (Epstein–Barr virus-induced gene 2, EBI2) définit une sous-population de HSCs âgées, enrichie en mitochondries et dotée d’un potentiel d’auto-renouvellement supérieur

  • Validation croisée multi-omique démontrant la spécificité de GPR183 comme nouveau marqueur des HSCs âgées à forte teneur en mitochondries. Son expression est confinée aux sous-populations SLAM-HSCs âgées, absente chez les jeunes ou les cellules différenciées.
  • Les HSCs GPR183^high présentent conjointement une haute qualité mitochondriale, une expression élevée d’EPCR et de CD150, ainsi qu’une autophagie/mitophagie renforcée, donc une meilleure capacité d’adaptation et d’autorégénération dans la moelle âgée.
  • Les transplantations et cultures ex vivo démontrent chez GPR183^high de meilleures capacités d’implantation, de maintien de la stemness et d’expansion.
  • GPR183, récepteur couplé à la protéine G, voit son expression régulée par la biogenèse mitochondriale en amont (PGC1a) ; son activation directe (ex. par 7α,25-OHC) n’accroît pas la teneur mitochondriale, témoignant d’une relation d’association plutôt qu’un lien causal direct.

4. Proposition de nouveaux profils moléculaires et sous-types fonctionnels des HSCs vieillissantes

  • Outre GPR183, l’étude identifie par multiomique et recherches croisées 17 gènes suppresseurs liés à la haute teneur mitochondriale des HSCs âgées (alcam, jam2, sult1a1, nupr1…). Ces gènes sont largement impliqués dans le maintien de la stemness, la régulation du fer et de l’autophagie.
  • Contrairement à la vision précédente où l’accumulation mitochondriale était signe de déclin, ce travail propose un nouveau paradigme : l’existence, chez les souris âgées, d’une sous-population d’HSCs « mitochondrie-enrichie, autophagie conservée, haut potentiel souche », soutenu par des preuves robustes.

V. Conclusion et valeurs scientifique et appliquée

1. Importance scientifique

  • L’étude révèle que dans la moelle osseuse âgée, une haute qualité mitochondriale n’est pas indice d’épuisement, mais identifie au contraire une sous-population favorisée pour l’auto-renouvellement et la tolérance environnementale, maintenant la fonction hématopoïétique.
  • La découverte de sous-populations de HSCs marquées par GPR183 élargit la compréhension de l’hétérogénéité des cellules souches vieillissantes, instaurant un nouveau cadre pour l’étude du maintien de la stemness et de l’adaptation micro-environnementale.

2. Valeur appliquée

  • Ouvre de nouvelles perspectives pour la greffe de moelle osseuse chez les personnes âgées, le choix précis des HSCs donneuses et la médecine régénérative, susceptible d’améliorer la sécurité et l’efficacité des transplantations chez les patients âgés.
  • Apporte une base théorique et translationnelle pour développer des stratégies de réparation des HSCs âgées via la modulation mitochondriale et la voie GPR183.

3. Points forts de la recherche

  • Première utilisation du modèle murin mito-dendra2 pour classifier à haut débit et précision les HSCs selon leur qualité mitochondriale dans leur environnement naturel.
  • Identification innovante de GPR183 comme nouveau marqueur moléculaire des sous-populations HSCs mitochondrie-enrichies chez le sujet âgé, avec validation expérimentale systématique de sa supériorité fonctionnelle.
  • Preuve apportée par l’intégration omique et les tests fonctionnels qu’à rebours de l’opinion commune, l’accumulation mitochondriale peut s’accompagner d’un maintien de la stemness, loin d’être synonyme, à elle seule, de vieillissement/dommages.

VI. Autres informations pertinentes

  • La partie discussion offre une synthèse sur le métabolisme du fer, la ferritine, l’homéostasie du fer, l’autophagie cellulaire et les adaptations à l’oxydation dans les HSCs, apportant une base pour des études mécanistiques ultérieures.
  • Les sections matériel et méthodes détaillent avec précision plates-formes analytiques, algorithmes, anticorps et paramètres des modèles transgéniques, assurant la reproductibilité et la fiabilité des résultats.
  • L’étude indique que le phénotype et la fonction des HSCs âgées sont adaptables selon le microenvironnement, soutenant la notion d’un maintien dynamique de la stemness.

VII. Résumé

Cet article publié dans “Nature Aging” explore, via des modèles, l’identification de marqueurs moléculaires, des évaluations fonctionnelles et une intégration massive de données multi-omiques, le fondement moléculaire et fonctionnel de l’auto-renouvellement accru chez les HSCs enrichies en mitochondries dans la moelle vieillissante. L’identification de marqueurs tels que GPR183 enrichit la compréhension de l’hétérogénéité des HSCs âgées et ouvre la voie à de nouvelles stratégies de transplantation cellulaire et de prise en charge des affections hématologiques de la personne âgée. Cette recherche constitue un apport majeur pour le futur des études sur le vieillissement des HSCs et leurs applications cliniques.