RUNX1 est un inducteur clé de l’hématopoïèse humaine contrôlant le développement mésodermique non hématopoïétique

Le rôle dominant de RUNX1 dans le développement hématopoïétique humain et l’équilibre des destinées mésodermiques non-hématopoïétiques — Analyse de « runx1 is a key inducer of human hematopoiesis controlling non-hematopoietic mesodermal development »

1. Contexte scientifique et motivation de l’étude

Le développement du système hématopoïétique constitue la garantie fondamentale de la croissance et du maintien de la vie chez les organismes supérieurs. Des études antérieures sur des modèles murins ont montré que le facteur de transcription RUNX1 (Runt-related transcription factor 1, également appelé AML1/CBFA2) joue un rôle indispensable dans le processus d’« hématopoïèse définitive ». Si les mécanismes à l’œuvre dans l’hématopoïèse humaine et murine présentent des similarités, d’importantes différences restent notables, en particulier dans l’hématopoïèse précoce, les voies de régulation des différents stades de différenciation et les destins des cellules souches pluripotentes. Jusqu’alors, il subsistait de nombreuses questions non élucidées concernant le rôle précis de RUNX1 dans l’hématopoïèse humaine précoce et ses mécanismes de régulation du devenir mésodermique non-hématopoïétique.

Par ailleurs, des mutations ou réarrangements du locus RUNX1 sont couramment détectés dans la leucémie aiguë myéloïde (LAM) et d’autres hémopathies malignes. Les mécanismes profonds par lesquels RUNX1 influe sur le destin des cellules hématopoïétiques et la leucémogenèse restent à clarifier. Plus important encore, ses fonctions de régulation au cours du développement des cellules mésodermiques non-hématopoïétiques humaines (notamment les cellules souches mésenchymateuses (CSM), cellules endothéliales, etc.) n’ont jamais été rapportées.

C’est dans ce contexte que les auteurs de l’article ont mené une étude systématique, mobilisant des techniques de génétique et de biologie moléculaire pour élucider le rôle clé de RUNX1 dans l’induction de l’hématopoïèse humaine précoce et la suppression du destin mésodermique non-hématopoïétique, ainsi que pour décrypter les réseaux moléculaires régulant l’équilibre des branches du développement.

2. Source de l’article et auteurs

Cet article, intitulé « runx1 is a key inducer of human hematopoiesis controlling non-hematopoietic mesodermal development », a été publié en 2025 dans Stem Cells (Oxford University Press, volume 43, numéro 5, sxaf019, DOI : 10.1093/stmcls/sxaf019). Les principaux auteurs sont Zahir Shah, Cuihua Wang, Hanif Ullah, Hao You, Elena S. Philonenko, Olga V. Regan, Pavel Volchkov, Yong Dai, Jianhua Yu et Igor M. Samokhvalov, plusieurs d’entre eux étant premiers auteurs (signalés par ‡). Cette recherche est le fruit d’une collaboration entre des institutions prestigieuses comme l’Institut de Biologie et de Santé de Guangzhou (CAS), le City of Hope National Medical Center, l’Université Sun Yat-Sen, l’Université d’État Lomonossov de Moscou, entre autres. L’auteur correspondant est le Dr Igor M. Samokhvalov.

3. Déroulement de l’étude et design expérimental détaillé

1. Design général de l’expérimentation

L’étude est centrée sur la création, par édition génique, de modèles de cellules souches pluripotentes humaines (hPSC) rapporteurs et knock-out pour RUNX1, et le suivi fonctionnel systématique de l’expression et du rôle de RUNX1 dans un système mimant la phase précoce du développement hématopoïétique humain. Les étapes majeures du protocole expérimental sont :

  • a) Construction de lignées hPSC rapporteurs/KO pour RUNX1 :
    Par technologie TALEN (Transcription Activator-Like Effector Nucleases), insertion d’une cassette rapporteuse fluorescente (tdTomato ou Venus) au locus RUNX1 (exon 3), associée à un knock-out fonctionnel via recombinaison homologue. L’intégration correcte est vérifiée par PCR et Southern blot, générant des lignées monoalléliques et bialléliques KO.

  • b) Différenciation des hPSC selon un modèle mimant l’hématopoïèse humaine :
    Utilisation d’un système de différenciation des corps embryoïdes (EB) sans cytokine, hautement fidèle, pour simuler le développement hématopoïétique. Les différents stades de différenciation sont collectés dynamiquement. Typage et purification des sous-populations par tri magnétique et cytométrie en flux (FACS).

  • c) Analyses fonctionnelles moléculaires et transcriptomiques :
    Combinaison de qRT-PCR, Western blot, RNA-Seq, cytométrie en flux, tests de formation clonale (CFU) ; analyses bioinformatiques via Bowtie2, RSEM, DESeq2, et clusterProfiler.

  • d) Évaluation des conséquences du déficit en RUNX1 sur le devenir cellulaire :
    Inclut l’étude de l’hématopoïèse primitive et définitive, des lignes mésenchymateuses et endothéliales, ainsi que le suivi, par transcriptomique, de l’expression des facteurs de transcription et voies de signalisation clés (BMP, SOX, etc).

  • e) Expériences de sauvetage fonctionnel par RUNX1 :
    Construction d’un système PiggyBac-Runx1c à expression contrôlée par la doxycycline (Dox), transmis dans les cellules bialléliques KO, pour évaluer la restauration de la différenciation hématopoïétique par compensation exogène de RUNX1.

2. Cibles expérimentales et taille des échantillons

  • Modèle principal : lignée de cellules souches embryonnaires humaines H1. Plusieurs lignées rapporteurs mono- et bialléliques KO de RUNX1 sont obtenues et comparées aux cellules souches de type sauvage.
  • La plupart des expériences sont répétées sur trois réplicats biologiques indépendants ; certaines impliquent deux à quatre sous-lignées isogéniques (KO-1, KO-2 double KO, Runx1^Tdt/+ mono KO, WT).

3. Détail du déroulement expérimental principal

3.1 Établissement des lignées rapporteurs/KO RUNX1 et suivi de l’expression

  • TALEN ciblant l’amont de l’exon 3 de RUNX1, insertion par recombinaison homologue d’une cassette rapporteuse avec stop transcriptionnel. Un « accepteur d’épissage » d’Engrailed-2 permet le reflet fidèle de l’activité promotrice de RUNX1.
  • Les analyses par cytométrie et qPCR montrent que l’expression de RUNX1 s’active dès les prémices de la différenciation (jour 2, CD43^–CD235a^–), s’étend aux cellules mésodermiques indifférenciées, cellules sanguines naissantes et hématoendothéliales (HE). Son intensité décroit progressivement du pic d’induction jusqu’aux stades myéloïdes, illustrant sa régulation spatio-temporelle.

3.2 Impact du knock-out RUNX1 sur l’hématopoïèse primitive et définitive

  • Hématopoïèse primitive altérée :
    Les cellules double KO RUNX1 peuvent générer des précurseurs CD34^+CD43^+ (première transition hématopoïétique non strictement RUNX1-dépendante), mais la proportion de cellules CD43 hautement exprimées chute drastiquement. La différenciation érythroïde primitive, mégacaryocytaire et myéloïde est gravement inhibée. Les tests CFU montrent que la suppression monoallélique nuit déjà à la différenciation, suggérant un effet de dose. Les facteurs clé du lignage érythroïde (GATA1, KLF1, MYB) sont notablement réprimés.

  • Hématopoïèse définitive totalement bloquée :
    Au douzième jour de différenciation, les cellules double KO RUNX1 perdent toute capacité à produire des cellules hématopoïétiques CD45^+. Les différenciations T et NK sont totalement interrompues, la capacité de formation clonale est nulle. Les HE sont paradoxalement augmentées, mais incapables d’effectuer la transition endothélio-hématopoïétique (EHT) normale.

3.3 Biais du destin mésodermique non-hématopoïétique et régulation amont

  • La perte de RUNX1 induit l’expansion progressive de précurseurs mésenchymateux CD43^–CD146^+CD90^+CD73^+ et de cellules de type endothélial CD31^+CD34^+CD146^+. Dans le même temps, des gènes clefs de la voie BMP, des facteurs SOX (notamment SOX9, SOX5/6), RUNX2, sont suractivés, suggérant une capacité de différenciation vers les destins chondrocytaires et vasculaires non hématopoïétiques.
  • L’analyse transcriptomique confirme un enrichissement massif de gènes différentiellement exprimés dans les voies du développement mésodermique non-hématopoïétique entre les jours 12 et 20 (voies BMP, SOX, Notch, molécules d’adhésion cellulaire…).

3.4 Expérience de sauvetage fonctionnel par RUNX1 exogène

  • Introduction, par PiggyBac, d’une cassette RUNX1c à induction Dox dans les cellules double KO. L’addition de Dox entre les jours 6 et 12 réactive efficacement RUNX1 et restaure la capacité hématopoïétique CD45^+, CD34^+CD45^+.
  • Les tests CFU démontrent le sauvetage concordant des capacités clonales érythroïdes, myéloïdes et mégacaryocytaires, avec marquage fluorescent mCherry/tdTomato. La coloration May-Grünwald valide la récupération des phénotypes multi-lignages.

4. Principaux résultats et découvertes scientifiques

  1. RUNX1, inducteur suprême de l’hématopoïèse humaine, détermine l’initiation et la poursuite des hématopoïèses primitive et définitive.
    Son absence bloque la différenciation des HE vers les lignées sanguines matures, montrant une action amont dépassant la place classiquement attribuée à des régulateurs comme TAL1/SCL chez la souris. RUNX1 conditionne l’expression de facteurs clé comme SCL/TAL1, GATA2, GFI1/1B, FLI1.

  2. RUNX1 module le destin mésodermique humain, en réprimant directement l’expansion de lignées non-hématopoïétiques.
    L’absence de RUNX1 provoque l’expansion anormale et la différenciation de cellules à traits non hématopoïétiques, corrélée à l’activation de voies telles que BMP-SOX, tandis que l’expression des gènes hématopoïétiques chute. Ceci élargit la compréhension du rôle de RUNX1 dans l’ostéogenèse, la chondrogenèse, l’angiogenèse et l’EMT.

  3. Première découverte d’un sous-groupe de cellules érythroïdes primitives indépendantes de RUNX1 chez l’humain.
    Ce contingent CD235^highCD34^–CD41a^– émerge précocement en différenciation, n’est pas RUNX1-dépendant et est incapable de formation clonale, suggérant une voie de différenciation distincte des précurseurs hématopoïétiques classiques.

  4. Effet de dose de RUNX1 dans le contrôle fin de l’hématopoïèse.
    La suppression monoallélique déclenche des phénotypes d’insuffisance partielle, témoignant d’un seuil critique de RUNX1 pour le développement hématopoïétique.

  5. Le sauvetage exogène restaure précisément les fonctions hématopoïétiques, affichant un potentiel translationnel.
    L’induction contrôlée de RUNX1c reconstitue efficacement toutes les lignées sanguines, offrant une base expérimentale solide pour les applications cliniques de thérapie cellulaire, correction génétique et traitement des défauts hématopoïétiques/AML.

5. Conclusions, signification et valeur applicative

Cette étude démontre de manière claire et systématique que RUNX1 constitue non seulement un « interrupteur maître » de l’hématopoïèse humaine précoce, mais aussi un régulateur actif et continu de la bifurcation mésodermique : elle active le programme hématopoïétique tout en réprimant l’expansion excessive des lignées mésenchymateuses/endothéliales non hématopoïétiques. Ces résultats modifient profondément la compréhension de l’axe de régulation de l’hématopoïèse humaine, et soulignent l’importance de l’équilibre développemental hématopoïétique/non-hématopoïétique pour l’embryogenèse et la différenciation des cellules souches.

Ils offrent aussi une base solide pour mieux décrypter la physiopathologie de la LAM et d’autres leucémies, comprendre les anomalies micro-environnementales de la moelle osseuse et le rôle des lignées mésenchymateuses/vasculaires dans l’hémopathie. L’approche intégrée « induction—rapport—KO—sauvetage fonctionnel » et les outils cellulaires créés ouvrent de nouvelles perspectives pour la médecine régénérative, la thérapie cellulaire et la biologie du développement.

6. Points saillants et innovations

  • Modèle expérimental original : Première génération de lignées hPSC KO RUNX1 à haut débit, traçage visuel et rapporteur intégrés, offrant une cartographie de haute résolution du destin cellulaire.
  • Démarche multi-omique intégrée : De l’analyse phénotypique à la transcriptomique, cartographie détaillée des réseaux de régulation génique avec validation fonctionnelle.
  • Décryptage approfondi de la régulation des destins non-hématopoïétiques : Dépasse la focalisation usuelle sur l’hématopoïèse, explicite la base moléculaire de la diversité développementale mésodermique, avec retombées sur l’embryologie et la physiopathologie.
  • Potentiel translationnel affirmé : Le sauvetage fonctionnel valide la capacité à piloter in vitro l’orientation des cellules souches pluripotentes, ouvrant la voie à la reconstruction hématopoïétique, correction génique et lutte contre les hémopathies.

7. Autres informations utiles

  • Les données de l’étude sont publiques sur GEO (GSE232147), offrant une ressource précieuse pour de futures analyses et applications ;
  • Les annexes contiennent protocoles détaillés, listes de réactifs, données brutes et codes d’analyse, garantissant une reproductibilité scientifique optimale ;
  • L’équipe rassemble l’excellence scientifique de la Chine, des États-Unis et de la Russie, exemplifiant la force des coopérations internationales sur les grands enjeux de biologie du développement.

8. Évaluation générale et perspectives

Cette étude propose une nouvelle théorie sur la régulation du destin hématopoïétique humain et l’équilibre mésodermique, ouvrant la voie au développement de thérapies fondées sur les cellules souches pour le sang, l’os, les vaisseaux ou le cartilage. À l’avenir, de tels mécanismes de « pluri-contrôle/pluri-lignage » devraient enrichir l’analyse d’autres processus de détermination développementale et de maladies chroniques. L’exploration continue des réseaux RUNX1 inspirera innovations théoriques et applications médicales en biologie, cellules souches et médecine régénératrice.