Un seul oligonucléotide antisens corrige diverses mutations d'épissage dans les exons sensibles

Les “exons hotspot” des mutations d’épissage dans les maladies rares corrigés de manière large par un seul oligonucléotide antisens – Synthèse d’un article de PNAS publié en 2025


1. Contexte scientifique : enjeux des mutations d’épissage pathogènes et limites de la thérapie antisens

L’épissage de l’ARN (RNA splicing) constitue une étape clé de la régulation de l’expression génique chez les eucaryotes. La grande majorité des gènes humains, durant la formation de l’ARNm mature, éliminent les introns et lient les exons via l’épissage. Ce processus dépend non seulement des sites d’épissage 5’ et 3’, du point de branchement et des régions polypyrimidiniques, mais aussi d’un grand nombre d’éléments amplificateurs (enhancers) et répresseurs (silencers) de l’épissage répartis dans les exons et introns. Selon les études génétiques, jusqu’à 60% des mutations humaines pathogènes conduisent à des défauts protéiques par perturbation de l’épissage. Ainsi, comprendre et corriger les anomalies d’épissage représente un défi fondamental dans le diagnostic des maladies génétiques rares et des cancers.

Mais la réalité est complexe : d’abord, les mutations d’épissage ne sont pas uniformément réparties dans tous les exons ; certains exons deviennent des “hotspots” nettement plus sensibles à diverses mutations induisant des défauts d’épissage (exon skipping), tandis que la majorité des exons sont plus robustes. De plus, bien que certains oligonucléotides antisens (ASO, antisense oligonucleotide) aient obtenu une autorisation de mise sur le marché pour des maladies comme la DMD et la SMA, aujourd’hui chaque ASO doit être conçu pour une mutation spécifique, ce qui limite leur accessibilité pour les nombreux génotypes rares et petits groupes de patients, en raison de la complexité, du coût et du temps requis. D’autre part, identifier systématiquement et à haut débit toutes les mutations d’épissage d’intérêt clinique, ainsi que cartographier la répartition des exons “fragiles”, demeure un défi.

Dans ce contexte, l’équipe de William G. Fairbrother a mené la présente étude visant à : 1) identifier les exons hotspot riches en mutations d’épissage dans les gènes d’intérêt médical ; 2) évaluer s’il est possible qu’un seul ASO puisse corriger “de façon large” divers défauts d’épissage sur le même exon hotspot, ouvrant ainsi de nouvelles pistes pour la thérapie génique des maladies rares.


2. Source de publication et équipe d’auteurs

L’article, intitulé “single antisense oligonucleotides correct diverse splicing mutations in hotspot exons”, a été rédigé par Chaorui Duan, Stephen Rong, Luke Buerer, Christopher R. Neil, Yu Zhong, Zhuoyang Lyu, Juliann M. Savatt, Natasha T. Strande, William G. Fairbrother et al., principalement affiliés à Brown University et Geisinger Health. Il a été publié le 16 juin 2025 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS).


3. Description détaillée du processus de recherche

1. Dépistage systématique à grande échelle des mutations d’épissage et constitution du jeu de données

Les chercheurs ont d’abord sélectionné 71 gènes de maladies humaines “cliniquement actionnables” (pertinents pour l’intervention médicale), et ont collecté, à partir des bases de données ClinVar et Geisinger MyCode, un total de 32 112 variants nucléotidiques situés à l’intérieur des exons (SNV, single-nucleotide variant) comme objets d’étude. Ces variants couvrent différentes régions de séquence d’exons, et impliquent différents mécanismes d’action.

En raison des limitations physiques de la synthèse d’oligonucléotides (<230 nt), l’équipe a utilisé deux types de constructions : pour les exons courts (<120 nt), ils ont cloné l’exon en entier ; pour les exons plus longs (>120 nt), ils ont choisi un fragment de 90 nt proche du site d’épissage 3’. Cela garantit un criblage à haut débit avec fiabilité technique.

Parallèlement, afin de garantir la pertinence biologique et médicale des mutations étudiées, la sélection des exons s’est appuyée sur la définition des exons constitutifs dans la base de données HexEvent (présence dans ≥95% des transcrits).

2. Développement d’une plateforme interne de criblage fonctionnel à haut débit de l’épissage (MaPSy)

L’équipe a développé et amélioré une plateforme puissante, le “Massively Parallel Splicing Assay” (MaPSy), selon le protocole suivant :

  • Synthèse à haut débit (Agilent) d’oligonucléotides pour obtenir toutes les séquences exoniques d’intérêt et leurs versions mutées (wild-type et mutant) ;
  • Chaque séquence (WT ou variant) est insérée dans un même cadre d’expression de minigène de type 3-exons/2-introns ;
  • Séquençage à haut débit (Illumina) des produits d’ARNc après transfection des cellules HEK293T, comptage individuel des espèces ;
  • Calcul de l’impact de chaque mutation sur l’épissage (rapport output/input muté vs WT, en log2 : score d’épissage MaPSy) ;
  • Détection puis filtrage statistique des mutations perturbatrices de l’épissage (SDVs, splice-disrupting variants) via des méthodes comme mpralm (contrôle du FDR).

Ainsi, cette approche permet une évaluation quantitative, fiable et à grande échelle de l’impact fonctionnel sur l’épissage de milliers de variants génétiques, offrant une base solide pour la génétique et les thérapies ciblées.

3. Analyses bio-informatiques et corrélation à la pathogénicité

À partir de ces données fonctionnelles, l’équipe a poursuivi :

  • Corrélation des annotations ClinVar et des phénotypes cliniques avec les résultats expérimentaux afin d’évaluer la relation score MaPSy / phénotype pathogène ou bénin ;
  • Modélisation du score d’épissage MaPSy via une régression logistique binaire vis-à-vis de la pathogénicité ClinVar : plus le score est bas, plus la mutation est pathogène (log-odds = -0,32, p=1,44e-6), avec une association renforcée dans le groupe des variantes les plus extrêmes (2% pires scores) ;
  • Application d’outils d’évolution moléculaire (phyloP, GERP) et de scores de pathogénicité génomique (CADD), montrant que les variants les plus perturbateurs sont rares et éliminés par la sélection naturelle ;
  • Dans la large cohorte MyCode, au sein des variants les plus sévères, la proportion de singletons (>40%) est hautement augmentée, ce qui conforte la pression de sélection négative sur ces anomalies.

4. Identification des “exons hotspot” et quantification de leur fragilité à l’épissage

Les analyses montrent que les SDVs ne se répartissent pas au hasard, mais s’agrègent dans une petite fraction d’exons (“hotspot exons”). Par exemple, dans des gènes tels que BRCA1, MLH1, seuls quelques exons concentrent une majorité des SDVs, la plupart des autres exons restant peu impactés. De plus, le même motif nucléotidique muté (5-mer), selon son contexte exonic, aboutit à des niveaux de perturbation d’épissage très différents, ce qui démontre l’importance du contexte de séquence locale sur la vulnérabilité à la mutation.

L’équipe a aussi réalisé un criblage virtuel à l’échelle du transcriptome (in silico) avec l’aide de SpliceAI, confirmant le caractère général de la distribution non aléatoire des exons “hotspot” dans le génome humain.

En outre, via l’application de l’inhibiteur général de l’épissage Pladienolide B (Plad B) sur cellules et l’analyse RNA-seq, ils montrent que les exons les plus sensibles (présentant le plus de skipping sous Plad B) coïncident avec les exons “hotspot” prédits informatiquement, validant leur fragile équilibre d’épissage.

5. Validation expérimentale : correction large des différents défauts d’épissage d’un exon hotspot avec un seul ASO

Après identification des exons hotspot sensibles à de multiples mutations, l’équipe a testé l’hypothèse clé suivante : “Un seul ASO bien positionné peut-il corriger différents défauts d’épissage sur ce même exon hotspot, quel que soit le type de mutation ?”

Démarche expérimentale :

  • Induction artificielle du skipping sur des exons hotspot (PTEN, LDLR, VHL, TSC1) avec Plad B, puis application d’ASO ciblant les sites d’épissage 5’ et/ou 3’ adjacents : quantification par PCR/qPCR montre qu’un seul ASO (en particulier sur le 3’ss ou le 5’ss) permet de corriger 18% à 86% du skipping ;
  • Test avec plusieurs vraies mutations SDV détectées sur TSC1 exon 14, MLH1 exon 9, construction de minigènes correspondants et synthèse de divers ASO (y compris branchpoint) : quel que soit le variant testé, un ASO bien choisi cible augmentait très significativement l’inclusion de l’exon et corrigeait l’épissage anormal ;
  • Des expériences de PCR sur les intermédiaires d’épissage confirment que les ASO rétablissent non seulement l’ARNm complet, mais peuvent aussi influencer la cinétique de l’épissage, déjouant la voie du skipping pathologique.

4. Résultats majeurs et contributions

  1. Évaluation expérimentale de l’épissage à très grande échelle : première analyse systématique sur 71 gènes cliniques de plus de 30 000 mutations exoniques naturelles ou cliniques, toutes évaluées pour leur impact réel sur l’épissage.

  2. Capture massive de mutations perturbatrices de l’épissage : identification de 1 733 mutations SDV sévères, dont plus de 30% dans le groupe extrême sont jugées pathogènes/potentiellement pathogènes par ClinVar.

  3. Cartographie globale des “hotspots de fragilité d’épissage” : environ 8% des exons représentent des hotspots et concentrent la majorité des SDVs, étant aussi les exons les plus sensibles aux inhibiteurs pharmacologiques de l’épissage.

  4. Démonstration mécanistique et fonctionnelle de l’ASO : quelque soit le type de mutation menant à un skipping pathologique sur un exon hotspot, il est possible – en positionnant l’ASO près du site d’épissage – de rétablir l’inclusion normale de l’exon, via une modification de la dynamique compétitive entre skipping et inclusion.

  5. Importance biomédicale et applicative : la stratégie “multi-correction par un seul ASO” offre une voie inédite de thérapie génétique pour des défauts d’épissage ultra-hétérogènes, en baissant la barrière économique et technologique, et en généralisant la correction à l’échelle de l’exon et non plus de la mutation individuelle.


5. Points forts de l’étude

  • Développement d’une plateforme de criblage interne à haut débit : MaPSy établit un paradigme technique applicable à la caractérisation systématique et physiologiquement pertinente des mutations d’épissage.
  • Cartographie panoramique des exons hotspot pour l’épissage : la vaste combinaison d’expériences in vitro et in silico confirme le caractère non aléatoire des mutations, fournissant un guide précieux en diagnostic génétique et en identification de nouvelles cibles thérapeutiques.
  • Stratégie ASO “multi-correction pour un exon” : un unique design peut corriger de multiples mutations sur le même exon, étendant considérablement la portée thérapeutique des ASO.
  • Innovation mécanistique — modulation de la dynamique de l’épissage : plutôt que de “réparer” chaque mutation, l’ASO agit sur la compétition lors de l’épissage régional, ce qui permet de restaurer l’inclusion même en présence de mutations diverses.
  • Illustration clinique : l’exon 13 de BRCA2 dans MyCode compte 100 mutations, dont 13 chez des patients cancéreux — toutes associées à des défauts d’épissage détectés expérimentalement. En théorie un seul ASO pourrait corriger toutes ces anomalies, avec d’importantes implications pour le dépistage précoce/genétique du cancer.

6. Conclusion, prospective et limites

Cette étude approfondit considérablement notre compréhension des maladies liées à l’épissage et de leurs mécanismes moléculaires, tout en proposant une correction innovante “one-to-many” pour les anomalies rares et hétérogènes comprenant les maladies rares et de nombreux cancers.

Dans la pratique, la stratégie ASO unique propose de nombreux avantages : - Amélioration majeure de l’efficacité R&D, en facilitant la traduction clinique pour des variants rares et petits sous-groupes de patients ; - Réduction de la fragmentation excessive due à la conception d’ASO personnalisés, favorisant la standardisation et l’industrialisation du médicament ; - Renforcement du paradigme d’intervention à l’échelle du gène ou de l’exon en médecine de précision, favorisant l’émergence de nouvelles classes de traitements.

Du côté des limites, les auteurs signalent lucidement : - Pour les mutations missense, l’ASO ne peut corriger que l’épissage et non la protéine anormale résultante ; une correction génique (ex : CRISPR) pourra donc être nécessaire pour un effet complet. - Des problèmes de dosage ou de spécificité de l’ASO pourraient provoquer des skippings multi-exoniques inattendus ; il sera important de calibrer précisément l’administration et de sélectionner judicieusement les candidats.


7. Conclusion

Ce travail original publié dans PNAS élargit signficativement les frontières de la médecine moléculaire dans la compréhension des défauts d’épissage et les applications thérapeutiques des oligonucléotides antisens. Il fournit des plateformes, des ressources, des concepts et des itinéraires de recherche translationnelle robustes, ouvrant la voie à la réalisation future d’une “boucle de précision” du gène au traitement pour les maladies rares et les pathologies à variants multiples, avec l’espoir d’apporter de nouvelles options thérapeutiques concrètes aux patients.